L'expression a tout juste un an mais elle fait déjà trembler entreprises et salariés: l'"ubérisation", l'arrivée de nouvelles plateformes en ligne bouleversant les circuits de distribution et court-circuitant des acteurs traditionnels, a commencé à ébranler les circuits économiques.
L'idée est toujours la même: de nouveaux venus se mettent à commercialiser des produits ou des services par internet --et de plus en plus par smartphone--, avec une offre plus pertinente et souvent moins chère.
Le symbole de cette petite révolution, qui lui a donné son nom, est la société californienne Uber, devenue en un rien de temps le numéro un mondial de la commande de voitures avec chauffeur, au grand dam des taxis.
Classiquement, le développement de ces nouveaux intermédiaires s'appuie sur un abondant financement fourni par quelques fonds de capital-risque qui leur permet de tenir longtemps avant de faire des bénéfices, mais aussi de casser les prix et de se développer rapidement à l'international. Une démarche que le consultant Olivier Ezratti qualifie de "blitzkrieg entrepreneurial".
Surfinancée, la plateforme va pouvoir étouffer ses concurrents et s'attribuer de respectables commissions une fois établie sur son marché. Et ce alors qu'une partie des prestations est souvent laissée aux utilisateurs eux-mêmes, et que les revenus sont volontiers expatriés sous des cieux plus cléments de façon à payer le moins d'impôts possible.
"L'ubérisation va toucher tous les secteurs de l'économie. Personne n'est épargné ou ne sera épargné", prévient, dans un entretien à l'AFP, l'économiste Pierre-Jean Benghozi.
De la plomberie à la publicité en passant par les transports, le sexe, les prêts, les services juridiques, les pompes funèbres, la livraison de paquets, la location d'objets ou encore l'immobilier, on en est encore à des stades plus ou moins avancés, avec plus ou moins d'acteurs: on trouve des professionnels en ligne ou des intermédiaires de l'"économie participative" qui mettent des particuliers en relation.
Outre les structures traditionnelles qui crient à la distorsion de concurrence parce que les nouveaux entrants ne payent pas les mêmes charges, le phénomène fait aussi trembler bien des salariés. Car s'il permet davantage de flexibilité, il semble prendre ses aises avec le code du travail. Les nouveaux venus ont ressuscité le bon vieux travail à la pièce !
- "Se secouer soi-même"-
"On se doute bien que ça détruit de l'emploi, mais ça reste du ressenti", note Grégoire Leclercq, un jeune autoentrepreneur qui a récemment fondé un Observatoire de l'ubérisation.
L'ubérisation a en revanche obligé bien des secteurs à se remettre en cause.
"La réponse, c'est d'innover en permanence et bien entendu de réinventer une façon de faire très différente de ce qu'on connaissait jusqu'à présent", observe auprès de l'AFP le publicitaire Maurice Lévy, qui a inspiré le mot ubérisation en décembre 2014.
"Il faut se secouer soi-même" avant d'être secoué par ce mouvement de fond, préconise le patron de Publicis.
"L'arrivée de la concurrence a redynamisé très fortement les secteurs concernés", constate Pierre-Jean Benghozi, qui trouve notamment les taxis parisiens plus accueillants depuis l'arrivée d'Uber. "La concurrence a du bon, parce qu'elle force à remettre en cause les positions installées où le consommateur devait s'adapter à l'offre".
"Cela ne veut pas dire qu'il faut faire n'importe quoi et qu'il ne faille pas mettre en place un code de régulation", ajoute l'économiste.
"Il faut que tout le monde joue avec les mêmes règles du jeu: s'il y a une concurrence, et pour que la concurrence soit efficace, il faut qu'elle soit loyale", que les conditions de travail soient acceptables et que les champions de l'ubérisation paient un minimum d'impôts, estime M. Benghozi.
"C'est le rôle des pouvoirs publics" de réguler le marché, conclut-il.
Le ministre de l'Economie Emmanuel Macron a promis que sa prochaine loi #noé (sur les nouvelles opportunités économiques) y mettra un peu d'ordre.
"La vraie question, c'est qu'il y a des gens qui ne trouvent pas de job, pas de place dans le système", a-t-il relevé dans une récente interview au Parisien. "Si Uber est devenu l'un des premiers employeurs d'Ile-de-France dans les quartiers difficiles, c'est bien en offrant une solution alternative aux jeunes sans qualification."