PARIS (Reuters) - Le chef de file des députés socialistes, Bruno Le Roux, a défendu mardi l'idée d'une déchéance de nationalité pour tous les ressortissants français coupables de crimes terroristes, et pas seulement les binationaux, afin de parvenir à un consensus.
Le projet de loi qui ferait entrer cette mesure dans la Constitution sera débattu début février à l'Assemblée nationale et début mars au Sénat, avant de devoir être voté au Congrès par une majorité des trois cinquièmes pour être adopté.
Dans sa formulation actuelle, il étend la déchéance aux binationaux nés français condamnés "pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation", une formulation généralement acceptée à droite mais très critiquée à gauche.
Des alternatives sont donc mises sur la table pour parvenir à un consensus le plus large possible et en finir avec la discrimination entre bi et mono-nationaux.
Pour Bruno Le Roux, la solution serait la déchéance pour tous et il ne s'est pas caché d'y travailler avec l'exécutif en vue d'un probable amendement, parce que "la majorité la plus large ce n'est pas simplement une affaire de socialistes".
"Je me situe dans l'obligation aujourd'hui de faire en sorte qu'il y ait une solution qui soit travaillée avec l'exécutif, le gouvernement, et notamment avec le président de la République", a-t-il déclaré lors de ses voeux à la presse.
JURIDIQUEMENT POSSIBLE
"C'est pour cela que j'ai souhaité que nous puissions trouver une solution pour que tous les terroristes, indépendamment du nombre de nationalités qu'ils peuvent avoir, que tous les terroristes puissent être déchus de la nationalité française pour que ne se pose plus le débat qui est un débat faux, celui de la binationalité", a-t-il ajouté.
L'ancienne ministre socialiste de la Justice Elisabeth Guigou a abondé dans le même sens et estimé que la principale critique émise contre la déchéance pour tous - rendre des personnes apatrides, ce qui serait contre les conventions internationales -, ne tient pas en droit.
Elle souligne que la convention de 1961 de l'Onu sur la réduction des cas d'apatridie prévoit "qu'un Etat contractant peut conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité, s'il procède, au moment de la signature, de la ratification ou de l'adhésion, à une déclaration à cet effet".
"Or la France a bien invoqué cette clause dès 1961 et n'est jamais revenue dessus", écrit-elle dans un communiqué en se déclarant pour "ne plus établir de distinction entre Français s'agissant des crimes de terrorisme".
Cette proposition n'est pas sans susciter des critiques.
Pour l'ancien Premier ministre Alain Juppé, une extension du droit actuel sur la déchéance de nationalité aux Français nés français et binationaux coupables d'actes de terrorisme peut être acceptable même si elle "semble complètement à côté de la plaque de la véritable urgence contre le terrorisme".
"Mais si un mono-national devient apatride, là je dis stop. C'est pour moi une ligne rouge absolue", a-t-il dit sur Europe 1 "Ce n'est pas un problème juridique, c'est un problème moral. Est-ce que la patrie des droits de l'Homme peut se mettre en contradiction avec la déclaration des Droits de l'Homme : pour moi, la réponse est non."
LES ÉCOLOGISTES "ALARMÉS"
La maire de Paris, Anne Hidalgo, a réitéré pour sa part son hostilité à toute extension de la déchéance de nationalité.
"Franchement, tout le monde sait que ça ne sert à rien d'inscrire ça dans la Constitution", a-t-elle dit sur France Inter en rappelant sa proposition alternative, une mesure d'indignité nationale pour tous les auteurs d'actes de terrorisme, binationaux ou non.
Europe Ecologie-Les Verts s'est alarmé de la "tournure que prend le débat", notamment sur la déchéance pour tous.
"Les écologistes rappellent que le droit à une nationalité est l'un des fondements de l'Etat de droit", disent-ils dans un communiqué. "En conscience, les écologistes appellent l'ensemble de la classe politique et médiatique à faire preuve de responsabilité et à rejeter cette folie."
Plusieurs parlementaires ont proposé d'autres solutions. Le président du groupe des Radicaux de gauche à l'Assemblée, Roger-Gérard Schwartzenberg, a ainsi prôné dans un communiqué une peine de "dégradation civique" qui reviendrait à priver les terroristes de leur citoyenneté sans les rendre apatrides.
(Yann Le Guernigou et Emile Picy, édité par Yves Clarisse)