L'affaire d'espionnage industriel chez Renault arrive sur le terrain de la justice avec le dépôt attendu dans la journée de la plainte du constructeur automobile, qui pourrait lever des zones d'ombres alors que l'évocation récurrente d'une "piste chinoise" irrite Pékin.
Le groupe entend ouvrir la "phase judiciaire" de l'affaire, alors que les trois cadres qu'il incrimine ont nié en bloc mardi les accusations portées contre eux. "Les éléments de cette affaire seront confiés à la justice", a fait valoir Renault, sans préciser jusqu'ici le lieu ni les motifs de cette action.
De source proche du dossier, la plainte pourrait être déposée à Paris, plutôt qu'à Nanterre, la juridiction du siège de Renault, ou à Versailles, celle dont relève le Technocentre de Guyancourt (Yvelines), où sont développés les nouveaux véhicules du groupe, au coeur de l'affaire.
Ce dépôt de plainte va permettre de saisir officiellement la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), le contre-espionnage français, dont les enquêteurs travaillent déjà sur le dossier par le biais de sa "sous-direction de la protection économique".
Eclaircir les multiples zones d'ombre de l'affaire est d'autant plus crucial que l'évocation récurrente d'une piste chinoise lui donne maintenant un tour diplomatique, avec la colère exprimée par Pékin mardi contre des accusations jugées "totalement sans fondement, irresponsables et inacceptables".
Ni Renault, ni l'Etat français, encore actionnaire à 15% du constructeur, n'ont confirmé cette piste.
Mercredi, la ministre de l'Economie Christine Lagarde a jugé "hors de propos" de spéculer sur l'implication de "tel ou tel filière, tel ou tel pays", en se disant "très contente" que la justice soit désormais saisie.
Les trois cadres de Renault, qui ont été reçus mardi par leur direction pour des entretiens préalables à leur éventuel licenciement, ont catégoriquement rejeté les accusations qui les visent.
Le constructeur, qui se dit "victime d'une filière organisée internationale", les soupçonne d'avoir diffusé à l'extérieur des informations sensibles liées à ses "actifs stratégiques, intellectuels et technologiques".
"Renault porte contre moi des accusations très graves que je réfute totalement", a déclaré Michel Balthazard, le plus haut placé d'entre eux, membre du comité de direction de Renault, chez qui il travaille depuis trente ans. "Je me considère aujourd'hui comme une victime d'une affaire qui me dépasse", a-t-il dit.
"J'ai l'impression d'être dans +Le Procès+ de Kafka", a déploré Bertrand Rochette, un des ses adjoints, qui dit vivre "un vrai cauchemar".
Assurant ne toujours pas connaître "les griefs précis" qui lui sont reprochés, il a assuré au Figaro ne jamais avoir été approché ni sollicité (...) pour communiquer des données personnelles", en soulignant que ses fonctions ne concernaient pas les véhicules électriques de Renault.
De son côté, Matthieu Tenenbaum, directeur de programme adjoint du véhicule électrique, a indiqué par la voix de son avocat attendre "que lui soient exposés les faits qu'on lui reproche". Selon Me Thibault de Montbrial, c'est une "lettre anonyme" qui est à l'origine des accusations contre lui.
Elle "indiquerait, au conditionnel, de façon indirecte et implicite, qu'il aurait reçu des pots de vin et commis des actes contraires à l'éthique", a déclaré l'avocat.
Après avoir entendu les trois hommes mardi, Renault doit respecter un délai de 48 heures s'il décide de les licencier rapidement pour faute lourde. "Renault a l'air d'être dans une trajectoire inéluctable qui conduit à mon licenciement probable, d'après ce que j'ai compris", a estimé mardi M. Rochette.