Deutsche Bank a souffert en Bourse jeudi après la publication de résultats 2015 calamiteux, signe de l'ampleur de la tâche qui attend le nouveau patron John Cryan pour redresser le navire amiral de la finance allemande.
A la Bourse de Francfort, le titre du groupe a, grâce à un rebond généralisé du marché, limité sa baisse à 3,36% à 17,13 euros. En matinée, il avait perdu jusqu'à près de 10%.
La première banque allemande, en restructuration de longue date, a publié mercredi soir une énorme perte nette de 6,7 milliards d'euros pour l'an passé, sa première perte annuelle depuis 2008, année de la crise financière.
En cause, 12 milliards de charges et provisions, destinées pour une large part à faire face aux innombrables litiges juridiques dans lesquels l'établissement de Francfort est enlisé. Dépréciations et coûts de restructuration ont alourdi la facture.
Pour rajouter au marasme, les chiffres du dernier trimestre montrent que les affaires de la banque ne sont guère florissantes, même indépendamment des effets exceptionnels. La faute aux taux d'intérêt extrêmement bas et à des marchés financiers en plein affolement.
- perte "désastreuse" -
"Ces nouvelles charges ne sont guère surprenantes", a réagi Ingo Frommen, analyste chez LBBW, puisque "les coûts liés à la restructuration n'avaient été que partiellement comptabilisés, et le fait que les litiges ne sont pas encore résolus devrait être clair".
Mais "la combinaison des charges juridiques et de restructuration d'une part, et une faible évolution des revenus d'autre part a conduit à une perte record encore plus désastreuse qu'anticipé", a relevé Thorsten Wenzel, de DZ Bank.
Ces chiffres vérifient les sombres prédictions du nouveau patron du groupe, le Britannique John Cryan, qui avait prophétisé fin octobre des temps difficiles à venir pour Deutsche Bank.
L'institut s'est séparé l'an dernier de sa direction bicéphale, composée de l'Indo-Britannique Anshu Jain et de l'Allemand Jürgen Fitschen, désavoués sur fond de rentabilité en berne et de scandales à répétition.
John Cryan, ancien du groupe suisse UBS, a promis un nouveau départ avec notamment un changement de culture pour en finir avec l'image de banquiers aux dents longues uniquement animés par la perspective de profits rapides.
Dans un message adressé à ses employés, il a prévenu qu'un nouveau système de bonus était mis en place à compter de 2016 "afin de mieux aligner les salaires avec la performance". "Parvenir à un équilibre durable entre les intérêts des employés et ceux des actionnaires est un aspect clé de la stratégie", affirme-t-il, prévenant encore du "dur travail" qui va devoir être fait sur les deux prochaines années.
Depuis la nomination de John Cryan, du sang neuf a été injecté au sein du directoire, avec l'arrivée entre autres de deux femmes.
La structure du groupe a aussi été largement remaniée, tandis que le réseau de détail Postbank, racheté en 2008, doit prochainement être mis en Bourse. Entre suppressions d'emplois et cessions, 26.000 salariés, soit un quart des effectifs, sont appelés à quitter le groupe.
- Solvabilité préservée -
Malgré ces premières initiatives, les progrès se font encore attendre, en premier lieu à cause des litiges qui empoisonnent toujours les efforts de restructuration.
Manipulation des taux interbancaires, magouilles sur le négoce de droits à polluer, soupçons de fraude sur le marché des devises... Deutsche Bank est cité dans la plupart des grands scandales bancaires des dernières années. Et la liste ne cesse de s'allonger, après la révélation l'an passé de possibles opérations de blanchiment d'argent en Russie.
L'assise financière du groupe semble en revanche avoir résisté aux tempêtes de l'année 2015, pointent les analystes. Le ratio de fonds propres durs, un indicateur clé de mesure de la solvabilité, est ressorti à 11%, au-delà des 10% demandés par les régulateurs européens.
Après plusieurs augmentations de capital ces dernières années - synonymes de mauvaise nouvelle pour les actionnaires qui voient se diluer la valeur de leurs actions-, une nouvelle levée de fonds "ne semble pas à l'ordre du jour", juge M. Frommen.
"Il semble que M. Cryan veuille, avec raison, maintenir la solvabilité de Deutsche Bank de ses propres moyens malgré la restructuration", ajoute cet analyste.