"J'ai deux enfants, 1.100 euros de loyer, pas de salaire depuis janvier": mis sous le feu des projecteurs par le projet de loi travail sur le thème des licenciements abusifs, les prud'hommes permettent aussi de trancher les impayés de salaires, congés ou primes.
"Je faisais tout, le carrelage, l'électricité, la plomberie. Polyvalent et plus. J'ai pas été payé entre mars et juillet 2015. Le patron me donnait de petits acomptes", explique S. Il réclame 6.300 euros d'impayés. La société n'est pas venue, comme souvent, ce qui n'empêche pas l'audience.
Au 27 rue Louis Blanc, dans le 10e arrondissement à Paris, l'une des 210 juridictions prud'homales françaises, les litiges en référé défilent par dizaines tous les jours.
Les affaires "se ressemblent beaucoup. On finit par avoir des réflexes", explique Max Nordmann, président d'audience (côté salariés, FO) depuis 2002. Ses trois livres de référence? Le code de procédure civile, le code civil et le code du travail.
Médaille dorée autour du cou, épaulé par un conseiller (côté patronat) et une greffière, assis à une table massive, il préside ce jour des litiges en référé, portant pour la plupart sur les salaires, primes ou indemnités de licenciement impayés.
Dans la salle, se côtoient salariés, petits patrons, avocats (côté salariés et employeurs), société de construction, salle de cinéma, agence immobilière, mais aussi grosse entreprise d'assurance, grande marque de luxe, boutique de joaillerie réputée.
- 'Entachée émotionnellement' -
"Je ne peux pas continuer comme ça!", lance P. Licencié économique depuis le début du mois, lui n'a pas perçu les salaires de janvier et février. L'audience est reportée de plusieurs semaines. "C'est bon pour vous, le 9 mai?", lui demande la greffière. "Pas possible plus tôt? Vous savez, je suis au chômage, moi, je viens quand vous voulez!", lui répond P., agacé.
T. réclame 19.000 euros, soit cinq mois de salaires impayés: "je suis à découvert, j'ai rien pour vivre, je fais comment?". Son ancienne société, victime d'un braquage à l'automne 2015, "ne conteste pas la somme réclamée mais demande d'attendre encore", répond l'avocate (côté employeur). Finalement, les deux parties aboutissent en cours d'audience à un compromis: un paiement échelonné sur cinq mois.
En référé, où les affaires sont tranchées dans un délai de deux à six mois, "entre 60 et 70% des décisions sont positives aux salariés", dit M. Nordmann.
Des salariés ont les moyens de s'offrir un avocat, payé en moyenne 1.500 euros pour ouvrir l'affaire et en pourcentage (10% minimum) de la somme obtenue. Une aide juridictionnelle est ouverte aux personnes percevant un salaire mensuel inférieur à 1.000 euros. Il est également possible de se faire assister gratuitement par un syndicat.
"C'est très compliqué pour ceux qui viennent seuls. Ils ne connaissent pas la loi", souligne M. Nordmann.
H. C., ex-salariée d'un cabinet de recrutement, affronte seule l'avocat de son ancienne entreprise, qui refuse de lui verser les indemnités pour clause de non-concurrence, plus de 6.000 euros. Voix chevrotante, mains tremblantes, elle expose les motifs. Le président lui conseille d'attaquer au fond. "Je ne peux pas, je n'ai pas les moyens. En plus, voyez comme je suis...je suis entachée émotionnellement par cette histoire", murmure-t-elle.
- Manque d'effectif -
Aller "au fond", c'est en prendre pour des années de procédure, en raison du manque de locaux, de greffiers, de juges départiteurs. En référé, le délai d'un renvoi à Paris tourne autour de cinq semaines. Au fond, il grimpe à huit mois.
"Avec les renvois, on arrive facilement à trois ans", relève David Van der Vlist, trésorier du collectif Syndicat des avocats de France. Les décisions prud'homales faisant l'objet d'un appel dans 62% des cas, on arrive facilement à 5 ans, soulignent les avocats. À nouveau, l'État vient d'être poursuivi par 300 salariés pour délais "déraisonnables".
Sur la dizaine d'affaires entendues ce jour-là en référé, sept ont eu une issue favorable pour les salariés, une a été renvoyée au fond et deux transférées au juge départiteur.