La filiale pétrochimique de Total (PA:TOTF) a été condamnée lundi à 200.000 euros d'amende pour sa responsabilité dans une explosion accidentelle ayant tué deux employés en 2009 dans une de ses usines en Lorraine.
La justice a estimé que la direction du site avait délibérément court-circuité un dispositif de sécurité.
En procédant à partir de 1995 au "shunt" (mise hors circuit) quasi permanent de ce dispositif, Total Petrochemicals France (TPF) "ne pouvait ignorer" qu'elle faisait courir "un risque particulièrement grave" d'explosion, sur un site classé Seveso. Cela a constitué une "défaillance inadmissible", a tranché le tribunal correctionnel, qui a infligé à TPF une peine conforme aux réquisitions du parquet.
L'ancien directeur du site mosellan, Claude Lebeau, a de son côté été condamné à un an de prison avec sursis et 20.000 euros d'amende. "De façon constante", l'ancien dirigeant a "validé la décision de procéder au shunt de la sécurité", ce qui équivaut à une "trahison de la confiance que les employés du site plaçaient en lui", selon le tribunal.
Condamnés pour "homicides et blessures involontaires", le groupe TPF et M. Lebeau vont faire appel. "On ne peut pas accepter une telle décision", vu sa "sévérité", a dit aux journalistes l'avocat de la société, Jean-Benoît Lhomme.
Deux employés de 21 et 28 ans avaient trouvé la mort dans cet accident, survenu le 15 juillet 2009 sur le site de Carling, près de la frontière allemande. Cette usine produit des dérivés pétrochimiques (destinés notamment à la fabrication de plastique) à partir d'un liquide issu de la distillation du pétrole. Huit personnes avaient également été blessées dans l'explosion.
- Course à la rentabilité ? -
A l'audience, en février-mars derniers, plusieurs témoins étaient venus expliquer au tribunal que la direction était au courant des négligences dans la sécurité. Et que le contournement des procédures réglementaires - c'est-à-dire le fait de démarrer un surchauffeur sans avoir préalablement purgé les gaz présents dans cet équipement - était destiné à gagner du temps, et donc à accroître l'utilisation de l'outil industriel.
Ce "shunt", c'est "pour que, dans des conditions où normalement la production aurait dû être arrêtée, on puisse continuer de produire, aux dépens de la sécurité des employés", a résumé Philippe-Henry Honegger, l'un des avocats des parties civiles.
Dans ses conclusions, le tribunal n'a pas explicitement fait référence à cette supposée course à la rentabilité de la part de la direction de l'entreprise. Mais il a observé que, lorsque le site a bénéficié de 50 millions d'investissements en 2007, "aucun centime n'a été consacré à la fiabilisation" des dispositifs de sécurité.
Le tribunal a également fustigé l'attitude de la direction qui a "sciemment dissimulé à l'autorité préfectorale" que ces dispositifs avaient été contournés, ce qui lui a permis d'obtenir fin 2001 une autorisation d'augmentation de la capacité d'exploitation.
Après l'annonce de cette double condamnation, la mère d'une des deux victimes a fait part de son "soulagement".
"Il fallait que j'entende qu'ils sont coupables pour que mon gamin repose en paix", a commenté, très émue, Véronique Germain-Lemerre, qui a perdu son fils Maximilien, 21 ans, dans l'accident. "Je me suis battue pendant sept ans pour que jamais ça ne se reproduise. Les gens n'ont pas le droit de mourir comme ça, avec des multinationales qui shuntent les sécurités", a-t-elle ajouté.