Le conflit social qui dure depuis sept semaines à la SNCM repose la question de l'avenir économique de l'ancienne compagnie publique, en perte de vitesse depuis des années, dans un contexte de concurrence agressive et sur fond de débat récurrent sur la desserte de la Corse.
Dernière en date d'une longue série qui a touché depuis plusieurs années la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM), privatisée en 2006, la grève lancée par les marins de la CGT et du SAMMM (Syndicat autonome des marins de la marine marchande) est entrée lundi dans sa septième semaine.
A l'origine de ce conflit à la longueur exceptionnelle, la diminution du nombre de liaisons entre Nice et la Corse, avec la suppression d'un navire. Mais en arrière-plan, c'est l'avenir économique de l'entreprise, détenue par Veolia (66%) et l'Etat (25%) - les 9% restants revenant aux salariés - qui est en jeu.
Les parts de marché de la SNCM n'ont cessé de diminuer ces dernières années, pour tomber à 30%. Si la reconduction en 2007 de la délégation de service public (DSP) entre Marseille et la Corse, avec à la clé une trentaine de millions d'euros par an versés par la Collectivité territoriale de Corse (CTC), a permis d'éviter la faillite, l'entreprise cumule les déficits.
En 2010, la SNCM a connu une perte d'exploitation de 15 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 285 millions. En 2009, seule la cession des parts détenues par la SNCM dans le capital de la Compagnie méridionale de navigation (CMN) a permis l'équilibre, et le conflit social de 2011 a pour l'heure coûté 10 millions à l'entreprise, selon la direction.
En face, le numéro un du secteur, la Corsica Ferries, compagnie française battant pavillon italien, ne cesse de gagner des parts de marchés. En 2010, son trafic vers la Corse, opéré depuis Toulon et Nice, a connu une hausse de 4%, avec plus de 2,7 millions de passagers.
Dans ce contexte de compétition aiguë, pour un marché pas si porteur en dehors de la période estivale, les aides publiques de la CTC liées à la continuité territoriale (187 M EUR en 2010 à la SNCM et à la CMN) et à "l'aide sociale" (19,5 M EUR d'euros), qui permet de pratiquer des tarifs préférentiels pour certaines catégories de passagers au départ de Nice et Toulon, restent stratégiques pour les compagnies.
L'expiration de la DSP depuis Marseille en 2013 suscite ainsi la convoitise de la Corsica Ferries, qui réclame un "appel d'offres loyal" et dénonce le "chantage permanent" de la SNCM, secouée régulièrement par des grèves dures, pour maintenir son activité.
Du côté de la SNCM, on plaide pour une extension de la délégation de service public au départ de Toulon, estimant que l'aide sociale, attribuée à plus de 95% à Corsica Ferries (18 M EUR en 2010), va à l'encontre de la DSP et met en danger les comptes de la Collectivité territoriale corse.
Une critique reprise par les marins CGT de la SNCM qui déplorent un "dévoiement des aides publiques", accusant la Corsica Ferries de pratiquer un "dumping social et fiscal" grâce à un pavillon italien international "40% moins cher".
L'arrivée en 2010 de la compagnie italienne Moby Lines sur la ligne Toulon-Bastia avait relancé le débat sur l'attribution de l'aide sociale, dont les coûts se sont envolés. Privée du dispositif après une nouvelle mobilisation des marins SNCM et CMN, l'armateur a finalement jeté l'éponge début 2011 après dix mois d'exploitation.
Dans ce climat de crises à répétition, deux rapport récents, l'un du sénateur UMP Charles Revet et l'autre de la Cour des comptes, ont appelé à une remise à plat des conditions d'attribution de la DSP et de l'aide sociale, sur lesquelles les élus de l'Assemblée territoriale de Corse doivent se prononcer mi-avril.