Et si la croissance en France ne repartait pas - ou du moins pas franchement ? L'hypothèse, alimentée par une série de prévisions maussades, agite les milieux économiques, qui redoutent un scénario de "stagnation séculaire" dans l'Hexagone, sur fond de déclin des gains de productivité.
Huit ans ont passé depuis la crise des subprimes, provoquée par l'effondrement des prêts immobiliers à risque aux Etats-Unis. Mais les conséquences de cette débâcle financière semblent se faire encore sentir dans les pays industrialisés... et notamment en France, où l'activité peine à redémarrer.
La croissance, selon l'Insee, devrait ainsi plafonner à 1,3% du Produit intérieur brut (PIB) en 2016, après 1,2% l'année dernière. Et les perspectives pour 2017 ne s'annoncent guère meilleures: l'OCDE comme le FMI tablent en effet sur une hausse de 1,3% seulement, inférieure de 0,2 point à celle prévue par le gouvernement.
La conjoncture est "plate comme le dos de la main", concède Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Natixis, qui assure à l'AFP ne "pas voir ce qui permettrait à l'activité d'accélérer" au cours des prochains mois.
"Le pire, c'est qu'on est censé être dans une période de conjoncture favorable", avec des "conditions d'endettement extrêmement accommodantes", ajoute l'économiste. "Du coup, ça donne le sentiment qu'on n'a pas la capacité d'aller au-delà de 1,5%, ce qui est évidemment préoccupant".
Un pessimisme partagé par Xavier Timbeau, directeur de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). "La crise a mis au jour des problèmes qui étaient déjà présents de façon latente. Cela tend à accréditer l'idée qu'on se trouve dans une situation de stagnation séculaire", estime-t-il.
- excès d'épargne -
Ce concept, inventé par l'économiste Alvin Hansen en 1938, a refait surface en 2013 sous la plume de l'ex-secrétaire américain au Trésor Larry Summers. Il désigne une situation où la "croissance potentielle", c'est-à-dire la croissance atteinte lorsque les ressources sont pleinement mobilisées, est durablement atone.
"On considère alors que la faible croissance ne résulte pas seulement de problèmes conjoncturels", explique à l'AFP Michel Aglietta, professeur à l'université Paris X-Nanterre. "Il y a un problème plus profond, avec un enchaînement de relations de causes à effets qui fait que l'atonie économique s'auto-entretient".
Ce phénomène, commun à l'ensemble des pays industrialisés, résulte selon Larry Summers d'un déficit persistant de la demande, lié à un excès d'épargne... lui-même provoqué par un accroissement des inégalités - les ménages les plus aisés ayant une propension à épargner plus élevée que les ménages modestes.
Pour d'autres, le problème vient de l'offre: la croissance serait ainsi plombée par le déclin des gains de productivité, lié à l'essoufflement du progrès technique. Une théorie alimentée par la faible influence qu'a eu jusqu'à présent la révolution numérique sur la production, comparée à l'électricité en son temps.
- "fatalité"? -
"Ces explications par des facteurs de demande ou d'offre ne sont pas exclusives", mais "se renforcent mutuellement", souligne dans une note récente le Trésor, qui rappelle que la faiblesse de la demande peut peser sur la croissance via des effets d'"hystérèse" - ou phénomènes qui persistent quand leur cause a disparu.
Un chômage de longue durée entraîne ainsi une perte de qualification pour les travailleurs concernés, qui pénalise en retour la productivité. Un climat d'incertitude pousse quant à lui les entreprises à réduire leurs investissements, ce qui compromet leur production future.
Autant de facteurs qui poussent les économistes au pessimisme, certains affirmant que la France (où la croissance est passée de 5,6% dans les années 1960 à 1,5% dans les années 2000) ne connaîtra plus à l'avenir de période semblable aux "Trente Glorieuses", présentées comme une "anomalie historique".
"Il y a sans doute la fin d'une époque. Mais la stagnation séculaire n'est pas une fatalité", nuance cependant Xavier Timbeau, qui n'exclut pas une "nouvelle phase d'expansion", avec des "vagues d'innovation phénoménales". "En attendant, il faut combattre certains freins à la croissance, par une politique adaptée", ajoute-t-il.
Un avis partagé par Michel Aglietta, qui appelle de ses voeux une relance budgétaire. "L'impulsion ne peut venir que de Bruxelles", souligne toutefois l'économiste, qui reconnaît que "les capacités du seul Etat français sont limitées"... en raison de sa dette publique, passée depuis la crise de 64% à près de 100% du PIB.