Malade de son économie, l'Espagne se retrouve prise dans un stupéfiant enchevêtrement de déboires, une "tempête parfaite" qui la pousse à douter de symboles jusque-là intouchables comme la monarchie, l'autonomie des régions ou les alliances en Amérique latine.
La photo d'un chef de gouvernement au sourire conquérant, la poitrine barrée du ruban jaune de "l'Ordre de l'aigle aztèque", levant son verre mercredi lors d'un voyage au Mexique, n'y fera rien.
L'image que les Espagnols retiendront, c'est bien celle de leur roi, chancelant, le visage grave, prononçant cet acte de contrition historique: "Je regrette beaucoup. Je me suis trompé et cela ne se reproduira pas".
"A un moment où l'Etat court le danger de devoir être secouru financièrement, une telle frivolité, de la part de la plus haute autorité, donne une image affreuse qui a mis en colère beaucoup de gens", remarque Ferran Requejo, professeur de sciences politiques à Barcelone.
Motif de ces excuses, une coûteuse expédition de chasse à l'éléphant au Botswana, qui serait peut-être passée inaperçue si le roi Juan Carlos, âgé de 74 ans, n'avait dû être rapatrié d'urgence après s'être blessé.
"Sans la crise, il y aurait aussi eu des critiques, mais beaucoup moins, comme il y a quelques années, lorsque l'on a su qu'il était allé chasser l'ours en Russie, cela avait été pris comme un geste de mauvais goût".
Mais la crise, justement, est passée par là.
"Quand il y a une crise de cette ampleur, tous les comportements changent", relève le sociologue Fermin Bouza.
Après la mort de Francisco Franco en 1975 et une transition démocratique perçue comme un modèle, puis les années d'une prospérité fondée sur la frénésie de la construction, l'Espagne a plongé en 2008 lorsque l'éclatement de la bulle immobilière a ruiné son économie.
Quatre ans plus tard, tous les signaux sont au rouge.
Le chômage touche près d'un quart des actifs. La dette publique explose. Les soubresauts des marchés traduisent la méfiance qu'inspire l'économie espagnole.
Arrivé au pouvoir en décembre, le conservateur Mariano Rajoy n'a laissé aucun répit au pays et annoncé un budget d'une rigueur inédite. Les secteurs parmi les plus emblématiques de la démocratie, santé et éducation, ne sont pas épargnés.
Le mécontentement se fait entendre au fil des manifestations quotidiennes contre les "recortes", ces coupes budgétaires matérialisées par une paire de ciseaux, expression d'une pauvreté qui gagne du terrain.
Cible du pouvoir central: les régions, tancées pour leur indiscipline financière.
Au point que la remise en cause, au nom de l'efficacité budgétaire, de leur large autonomie, pilier de la jeune démocratie née de la Constitution de 1978, n'est plus un tabou.
Une centralisation accrue "est au programme de la droite et l'occasion parfaite lui en est aujourd'hui fournie", analyse Anton Losada, professeur de Sciences politiques à Saint-Jacques de Compostelle.
Au risque d'attiser le sentiment séparatiste là où il est le plus fort, comme en Catalogne ou au Pays basque.
"Il y a tous les maux possibles, tous ensemble: certains parleront d'une tempête parfaite", résume Fermin Bouza.
"Bien sûr il y a l'économie et la politique, mais aussi la désaffection citoyenne, les difficultés de la monarchie, les difficultés à sortir de la crise avec des politiques exclusivement d'austérité, tout cela nous place face à un horizon très négatif".
Invité surprise dans la tourmente, l'Argentine, un pays pourtant ami, a ajouté au trouble cette semaine en annonçant la nationalisation partielle de YPF, filiale du géant pétrolier Repsol.
Il n'en fallait pas plus pour que l'Espagne, piquée au vif, parte en croisade pour la défense de ses intérêts nationaux et de ses entreprises installées en Amérique latine, terre de salut pour cette économie en crise.
"Nous sommes dans une situation de faiblesse et l'Argentine a profité de cette fragilité", assure Ferran Requejo.
Pour le moment, la "tempête totale" semble sous contrôle, estime Fermin Bouza. "Nous contournons la tempête, mais cela ne durera pas éternellement", prévient-il, disant craindre "le moment où les gens prendront conscience que les choses ne s'arrangeront pas avec une seule stratégie de réduction du déficit".