Imitant plusieurs collectivités françaises, l'industriel Air Liquide vient d'émettre la première obligation d'entreprise labellisée finance responsable, un produit financier nouveau dans un secteur en fort développement.
Le titre émis le 8 octobre, qui a permis au spécialiste des gaz industriels de lever 500 millions d'euros sur une échéance de 9 ans, avait préalablement été noté par l'agence d'évaluation extra-financière Vigeo et le produit de l'opération destiné à l'activité santé à domicile du groupe.
"Après plusieurs émetteurs publics et supranationaux, Air Liquide devient ainsi la première entreprise à émettre des obligations répondant aux critères des investisseurs ISR" (investissement socialement responsable), a assuré le groupe.
L'ISR correspond à des placements sur des produits d'épargne dont les émetteurs intègrent, en plus des critères financiers traditionnels, des paramètres sociaux, environnementaux et de gouvernance.
En France, rien qu'en 2012, les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur, Ile-de-France, Pays de la Loire et Nord-Pas-de-Calais avaient déjà emprunté un total de 592 millions d'euros par le biais d'obligations ISR.
Dans le cas des collectivités, l'affectation des sommes collectées est définie en amont vers des projets d'infrastructures et le rattachement à la famille ISR apparaît plus naturel du fait de la notion d'intérêt général.
Les entreprises, elles, peuvent se distinguer dans leurs actions et leur communication dites RSE (responsabilité sociale des entreprises), mais elles dépendaient jusqu'ici des sociétés de gestion ou des investisseurs eux-mêmes, qui choisissaient, à discrétion, de les placer ou non dans l'univers ISR.
En faisant labelliser leurs véhicules financiers en amont, elles s'attachent à reprendre la main vis-à-vis des investisseurs.
"C'est quelque chose auquel ils attachent beaucoup d'importance et qui, a priori, devrait être suivi par d'autres émetteurs", considère Jean-Philippe Brioudes, directeur au sein du département marchés de dette et de capitaux au sein de HSBC France, qui a monté, avec d'autres banques, l'opération d'Air Liquide.
"Elément de clarification"
"Différents noms d'émetteurs potentiels ont déjà été portés à ma connaissance", confirme Laurent Brugeilles, directeur commercial de Vigeo.
Pour autant, peut se poser la question de l'intérêt d'un label ISR présenté par l'émetteur alors que les investisseurs institutionnels et les sociétés de gestion disposent déjà, de plus en plus souvent, d'équipes dédiées qui effectuent leurs propres analyses.
"La labellisation est un élément de clarification", considère néanmoins Daniel Roy, directeur pôle gestion actif-passif de la Banque Postale, pour qui "tout ce qui participe à la pédagogie des enjeux est utile".
"La difficulté, c'est la multiplication des labels", nuance-t-il, pointant l'absence d'un label européen, dont la création n'est pas à l'ordre du jour.
Pour Nicole Notat, présidente de Vigeo, le label "permet aux émetteurs de se présenter aux investisseurs sous un double visage, financier et non financier, pour obtenir des financements".
L'attrait des investisseurs pour l'émission d'Air Liquide, avec une demande qui a presque atteint sept fois le montant finalement attribué, semble confirmer que cette nouvelle classe d'actifs a de l'avenir. Fin juin, les emprunts et dettes financières non courantes (qui incluent les obligations) du groupe atteignaient 5,35 milliards d'euros.
"Il y a une volonté (des émetteurs, ndlr) de diversifier et d'accéder à une nouvelle base d'investisseurs", ce qui "offre des chances de succès supplémentaires en cas de marché difficile", souligne Jérôme Pellet, directeur au sein du département marchés de dette et de capitaux de HSBC France.
En France, les sommes placées sur des véhicules ISR ont augmenté, en 2011, de 69%, pour atteindre 115 milliards d'euros, selon le centre de recherche Novethic. L'ISR est né au début des années 70, mais a connu une vive accélération depuis le début de la crise financière.