"Ce que l'Etat donnait facilement a été retiré du jour au lendemain, donc il faut s'unir pour surmonter la crise", dit Ruth Roma, fondatrice d'une association qui, grâce à un potager solidaire, alimente des dizaines de familles démunies à Olhao, dans le sud du Portugal.
Comme chaque semaine depuis le printemps dernier, volontaires et bénéficiaires de l'association caritative Harmonia se mettent au travail, ensemble, pour récolter les légumes qui seront transformés en potage ou vendus le lendemain sur le marché.
Au coeur des activités de l'association, le potager situé aux portes d'Olhao fournit les denrées et les revenus permettant, avec les dons de supermarchés locaux, d'atténuer les carences alimentaires de quelque 80 familles touchées par le chômage, la maladie ou l'exclusion sociale.
Frappé de plein fouet par la crise de la dette en zone euro, le Portugal a demandé en 2011 une aide financière internationale et s'est engagé à mettre en oeuvre un vaste plan de rigueur et de réformes.
"Il a fallu cette crise pour que les gens comprennent qu'ils doivent s'entraider, devenir plus humbles et se consacrer davantage à l'agriculture", explique Isabel Nunes, 42 ans, devant ses lopins de pommes de terre, choux, fèves et brocolis.
Comme leur petite exploitation n'était plus rentable et qu'ils avaient besoin d'aide pour continuer à travailler la terre, Isabel et son mari Carlos ont cédé leur terrain de 2,5 hectares et leur expérience pour faire cause commune avec l'association créée il y a deux ans.
Accroupi pour arracher les mauvaises herbes autour des plants d'oignons, Nelson Simplicio se dit heureux d'apprendre des gestes qui lui étaient inconnus, encore trois semaines auparavant.
"Mon travail à l'association me permet de rétribuer l'aide que j'ai moi-même reçu", témoigne le jeune homme de 25 ans, qui s'est remis sur pied malgré une jeunesse marquée par l'usage de drogues et des années à la rue.
"Vivre sans argent"
A 57 ans, Manuel Carvalho, un ancien ouvrier du bâtiment au chômage depuis mai, a lui aussi retrouvé un semblant de normalité après avoir trouvé refuge dans un camion abandonné pendant un mois.
Une prestation sociale de moins de 200 euros lui permet tout juste de louer une chambre mais, pour le reste, il doit compter sur l'aide du projet Harmonia et d'autres oeuvres caritatives.
"Je me suis habitué à vivre sans argent. C'est très difficile de demander de l'aide, raconte le petit homme au regard fuyant. Il faut ravaler son orgueil et faire comprendre aux gens que nous n'avons pas d'autre issue."
Déjà en 2011, 24,4% de la population portugaise, soit 2,6 millions de personnes étaient en risque de pauvreté ou d'exclusion sociale, selon les données les plus récentes de l'office statistique européen Eurostat.
Depuis, avec un chômage touchant près de 16% de la population active, et 39% des jeunes, la situation ne cesse de s'aggraver, assure Ruth Roma: "Il y a beaucoup d'enfants qui ont faim, des couples qui ont tout perdu, d'abord leur emploi puis leur maison et leur voiture".
Eviter de rendre les bénéficiaires dépendants de la charité est un des principaux objectifs de son association qui, par ailleurs, recueille des dons de vêtements et offre un soutien psychologique ou des conseils légaux.
"Notre premier but est de répondre aux carences immédiates: donner aux gens de quoi se nourrir et s'habiller, explique cette kinésithérapeute de 47 ans. Mais nous voulons aussi changer les mentalités, en montrant qu'il est possible d'améliorer son sort en travaillant ensemble."
Ruth et ses volontaires comptent bientôt défricher un nouveau terrain de 7.500 mètres carrés, actuellement à l'abandon. Là encore, la méthode passera par la mise en commun des ressources car leur voisin, un homme déjà octogénaire, fournira l'eau nécessaire à cette nouvelle exploitation en échange de la main d'oeuvre dont il a besoin pour entretenir son verger.