Aux manettes d'un groupe EDF affaibli financièrement, éclaboussé par des fuites embarrassantes sur la coopération nucléaire avec la Chine, Henri Proglio, fragilisé, va devoir batailler à nouveau pour sauver son poste face à son premier actionnaire, l'Etat.
Le gouvernement a en effet réactivé le scénario d'un débarquement anticipé du PDG de 63 ans, dont le mandat court jusqu'à fin 2014, ont indiqué à l'AFP deux sources proches du dossier, ayant requis l'anonymat.
"Cette fois-ci l'Etat est décidé et veut aller au bout. Le calendrier, c'est qu'il parte après les résultats annuels, fin février ou début mars", selon l'une de ces personnes, proche du gouvernement.
Une date qui coïncide également avec la fin du mandat du patron de la SNCF, Guillaume Pepy, pressenti pour le remplacer.
Interrogés sur l'avenir de M. Proglio, EDF n'a pas souhaité s'exprimer, pas plus que le gouvernement.
M. Proglio, aux commandes du géant français de l'électricité depuis 2009, est en sursis depuis la victoire de la gauche aux élections au printemps. Plus que ses liens avec la précédente majorité, le nouveau pouvoir juge excessives certaines prises de positions en faveur du nucléaire, dont le président Hollande veut réduire l'importance en France.
Au prix de compromis, notamment sur son salaire, le grand patron avait jusque-là préservé sa place.
Mais la pression s'accroît de nouveau depuis quelques jours: comme l'a révélé le Canard Enchaîné, une enquête vient d'être lancée par l'Inspection générale des finances sur les conditions dans lesquelles EDF a tenté de signer un accord de collaboration avec l'électricien nucléaire chinois CGNPC.
Or selon le proche de l'équipe au pouvoir interrogé par l'AFP, cette fuite dans la presse "vient du gouvernement". "C'est un signe très fort de l'Etat pour lui dire: ça suffit".
Matignon a fait savoir jeudi qu'une mission lancée par l'Etat pour faire le point sur les relations entre l'industrie nucléaire française et les partenaires étrangers, y compris l'accord avorté entre EDF et CGNPC, débuterait ses travaux en janvier.
En substance, EDF et son patron se voient reprocher d'avoir tenté de transférer une partie de sa longue expérience d'exploitant de centrales nucléaires à CGNPC, sans en informer suffisamment l'Etat. Par deux fois, deux brouillons ont été rejetés, l'un fin 2010 et l'autre en avril 2012.
Qu'un volet du dossier
Le groupe se défend d'avoir tenté de brader des secrets industriels dans ce projet.
"L'objet de ce type de contrat, c'est justement de protéger nos savoir-faire et de se mettre d'accord sur les conditions de coopération avec nos partenaires", a fait valoir une porte-parole.
Mais selon EDF, cet accord avorté était bien distinct d'un autre accord, signé en octobre avec Areva et CGNPC pour développer un nouveau réacteur nucléaire, et dont les clauses de confidentialité inquiètent les syndicats d'Areva.
Cet accord a reçu "l'accord explicite du gouvernement" et Areva se chargera de préserver les intérêts industriels français par des "accords explicites complémentaires", a déclaré à Aujourd'hui en France/Le Parisien le directeur de la production d'EDF, Hervé Machenaud.
Quoi qu'il en soit, les libertés qu'aurait prises EDF sur le nucléaire franco-chinois ne sont qu'un volet du dossier à charge contre M. Proglio qui s'assemble du côté du gouvernement.
En premier lieu, l'Etat s'inquiète de l'effondrement de la valeur boursière d'EDF, détenu à 84,4% par l'Etat. L'entreprise ne vaut plus que 25 milliards d'euros, 65% de moins que lors du transfert d'"HP" de Veolia à EDF.
"Certes, on ne peut pas lui imputer toute cette perte de valeur", tempère à l'AFP la source proche du gouvernement. "Une bonne partie est liée à la catastrophe de Fukushima et à des décisions politiques, mais quand même, le bilan pour les actionnaires est mauvais".
"Il y a des éléments objectifs: les résultats vont être mauvais, ils sont grevés par des coûts exceptionnels", comme la récente annonce d'un dérapage supplémentaire de 2 milliards d'euros de la facture du chantier du réacteur nucléaire EPR d'EDF à Flamanville (Manche).
"Mais il ne faut pas sous-estimer Henri Proglio. Il a une capacité de résistance incroyable", note une des sources.
Dans des temps difficiles, débarquer un PDG n'est pas toujours la solution, soulignent certains.
"On a beaucoup à faire de plus important. Et donc l'entreprise n'attend pas ce genre de changement, sauf vraiment une faute que je ne connaîtrais pas et sur laquelle je ne veux pas spéculer", estime Maxime Villota, administrateur CGT représentant les salariés.