Le gouvernement ne cache plus son choix de protéger les entreprises, une ligne dont l'abandon du projet de régenter les salaires des dirigeants du privé et l'hommage de François Hollande aux réformes de Gerhard Schroeder en Allemagne constituent les derniers signaux.
Vendredi dans le quotidien Les Echos, le ministre de l'Economie Pierre Moscovici a annoncé que l'encadrement du salaire des patrons du privé, dont certaines rémunérations abusives ont souvent fait la Une des journaux, ne passerait plus par la loi comme le gouvernement l'avait annoncé.
"Il n'y aura pas de projet de loi spécifique sur la gouvernance des entreprises", a-t-il expliqué.
Le ministre a ajouté avoir rencontré la semaine dernière la présidente du Medef, Laurence Parisot, et le président de l'Association française des entreprises privées (Afep), Pierre Pringuet, "qui se sont engagés à présenter rapidement un renforcement ambitieux de leur code de gouvernance".
"J'ai changé de méthode, je n'ai pas changé d'objectif. L'idée que nous puissions réguler et non pas légiférer n'est pas exclusive de la volonté de limiter certains excès", s'est-il défendu un peu plus tard en marge d'une conférence de presse.
Interrogé sur les critiques qui ont immédiatement surgi, notamment à la gauche du PS, il a promis qu'il n'y avait "aucun renoncement d'aucune sorte". "Cela ne veut pas dire que l'Etat abandonne ses ambitions, ses volontés, cela veut dire qu'il procède par le dialogue", a-t-il insisté.
"Pendant ce temps, la pauvreté augmente. Le pouvoir d'achat de la population recule. Mais les grands patrons pourront continuer à s'augmenter sans limites. Moscovici le leur permet", a rétorqué le leader du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon.
La loi en projet prévoyait essentiellement de soumettre à l'assemblée générale des actionnaires l'ensemble des rémunérations des dirigeants de l'entreprise.
Pour Gaël Sliman, politologue chez BVA, cet abandon, comme l'éloge rendu à Gerard Schroeder par François Hollande la veille, marque l'affichage d'une ligne politique social-démocrate "assumée".
"On est dans une phase 2 pour François Hollande où il assume une ligne politique beaucoup plus clairement social-démocrate, blairiste, schroederienne", ajoute le spécialiste, en référence à l'ancien Premier ministre britannique et à l'ex-chancelier allemand, dont les politiques sont restées controversées à gauche.
"On tape d'un côté, on caresse de l'autre"
Directeur du département analyse et prévision à l'Observatoire français des conjonctures économiques, Xavier Timbeau est plus mesuré. Pour lui, la loi était trop compliquée à élaborer puisqu'elle ne s'imposait qu'aux chefs d'entreprise, alors même qu'aucune mesure n'est prise pour encadrer le salaires des acteurs ou des sportifs.
Mais il reconnaît que le gouvernement a pu "céder" au Medef, moyennant probablement une contrepartie. "Est-ce qu'ils ont cédé à blanc ou contre quelque chose ?", fait-il mine de s'interroger.
Il prend l'exemple inverse de la loi sur les sites rentables, dont le gouvernement lui-même confesse que son efficacité sera très limitée. C'est "un message envoyé aux syndicalistes", assure-t-il à l'AFP.
"On a un peu l'impression que la loi est faite pour faire plaisir à untel ou pour ne pas faire trop de peine à un autre", a-t-il analysé, évoquant un "manque de diagnostic général, d'image d'ensemble".
Il donne l'exemple du crédit d'impôt emploi compétitivité (CICE) de 20 milliards à destination des entreprises instauré peu après une augmentation de leur fiscalité d'un montant presque équivalent.
Mais selon lui, ces allers et retours - "on tape d'un côté, on caresse de l'autre" - manifestent surtout le fait que l'exécutif fait face au "problème de la gauche réaliste".
"Hollande est pris entre une grande désespérance, de grandes attentes, l'injonction à faire des choses très visibles, très concrètes d'un côté et être réaliste de l'autre, c'est-à-dire qu'on ne peut pas tout faire", analyse M. Timbeau.