En annonçant mercredi la construction d'un large canal reliant la mer Noire à la mer de Marmara, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a posé l'ultime jalon d'une série de projets pharaoniques et controversés visant à changer la vie dans la mégapole surpeuplée d'Istanbul.
"Nous relevons nos manches pour le Canal Istanbul, l'un des plus grands projets du siècle qui fera de l'ombre aux canaux de Panama et de Suez", a déclaré M. Erdogan au moment de dévoiler son "projet fou", autour duquel il avait entretenu le suspense pendant plusieurs semaines.
Le projet prévoit la construction sur la rive européenne d'Istanbul d'un canal de 150 mètres de larges et 25 mètres de profondeur sur 45 à 50 kilomètres de long, capable d'absorber un trafic de 160 cargos et tankers de fort tonnage par jour.
Son objectif sera de désengorger le détroit du Bosphore, où des dizaines de milliers de navires transitent annuellement, transportant chaque année 140 millions de tonnes de pétrole, a affirmé M. Erdogan, qui a fixé pour échéance 2023, date du centenaire de la fondation de la République turque.
"Ce projet est un projet énergétique, un projet pour les transports (...) Mais avant tout, il s'agit d'un projet pour l'environnement. Il s'agit d'un projet pour la préservation de la nature, de la mer, des ressources en eau (...) d'Istanbul et de ses environs", a-t-il souligné.
Le Bosphore traverse Istanbul du nord au sud et est fréquenté par plusieurs dizaines de milliers de navires marchands chaque année, faisant courir aux quelque 13 millions d'habitans de la principale ville de Turquie de sérieux risques de catastrophe environnementale.
Deux accidents de pétroliers avaient respectivement fait 41 et 28 morts, en 1979 et 1994, le long de cette voie d'eau sinueuse de 32 kilomètres.
Le projet prévoit également la construction d'un aéroport --le troisième pour Istanbul et le plus grand de Turquie--, d'un port, de zones résidentielles et de bureaux à proximité du canal, a indiqué M. Erdogan.
Le Premier ministre, dont l'annonce coïncide avec la campagne électorale de son Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) pour remporter pour la troisième fois consécutive les élections législatives, prévues le 12 juin, est resté silencieux sur le coût du projet.
Celui-ci s'inscrit dans une politique de grands travaux parfois décriés, dont le dernier en date a été annoncé mi-avril et concernait la création de deux villes nouvelles de chaque côté du Bosphore.
Un an plus tôt, la Turquie annonçait la construction pour six milliards de dollars (4,5 milliards d'euros) d'un troisième pont sur le Bosphore, pour faciliter la circulation routière entre les deux rives de la mégapole. Un appel d'offres a été lancé, qui devrait être bouclé cet été.
Autre projet majeur pour la ville, un consortium turco-japonais est en train de construire un tunnel ferroviaire de 1,6 km sous le Bosphore.
"Il y a une sorte de volonté mégalomaniaque de transformer Istanbul avec des grands projets pour en faire une grande place du tourisme de croisière, une grande place financière (...) On est dans un mode de gestion à très court terme et spectaculaire", a commenté Jean-François Pérouse, directeur de l'Observatoire de la vie urbaine à Istanbul.
Pour le chercheur, "les vrais enjeux, ce sont les enjeux environnementaux fondés sur un mode de développement durable d'Istanbul, des enjeux de justice sociale et spatiale, pour toute cette population d'Istanbul qui n'est pas déclarée, protégée socialement. Ce sont des chantiers très lourds mais ce sont eux qu'il faut prendre à bras le corps pour assurer l'avenir de la mégapole".