L'Union européenne a remporté une victoire dans son bras de fer avec les compagnies aériennes avec la validation par la justice de l'obligation d'acheter des quotas de CO2 pour les vols sur son territoire, qui risque de déclencher une guerre commerciale avec les Etats-Unis et la Chine.
Les Européens ont décidé en 2008 d'obliger toutes les compagnies aériennes desservant les pays de l'Union, y compris donc les étrangères, à acheter l'équivalent de 15% de leurs émissions de CO2 à compter du 1er janvier 2012, pour lutter contre le réchauffement climatique.
La loi européenne prévoit des sanctions pécuniaires d'un montant de 100 euros par tonne de CO2 et une interdiction de vol dans l'UE pour la compagnie réfractaire.
Les compagnies américaines ont dénoncé une "mesure discriminatoire" et "un droit d'accise (taxe) sur le carburant prohibé par la convention de Chicago" sur les redevances d'aéroports et déposé un recours en Grande-Bretagne.
Saisie de la question, la Cour européenne de justice a rejeté mercredi ces arguments. "L’application du système d’échange de quotas d’émission à l’aviation ne viole ni les principes de droit international coutumier en cause ni l’accord 'ciel ouvert'", a-t-elle affirmé dans un arrêt.
Cette décision va donner à l'Europe les coudées franches pour aller de l'avant. Mais la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, dans un courrier en date du 16 décembre adressée à la commissaire chargée du climat, a enjoint l'Union européenne de "renoncer" à cette mesure, ou "au moins de différer" sa mise en oeuvre, sous peine de "mesures appropriées".
"Les Etats-Unis ont de fortes objections, à la fois sur un plan juridique et politique, au projet de l'UE d'imposer ses propres politiques à d'autres pays", a indiqué mercredi le ministère des Transports dans un communiqué.
"Les Etats-Unis ont un certain nombre de possibilités à leur disposition qu'ils feront valoir comme il se doit", a ajouté le ministère. Aucune précision n'a été donnée sur les recours que le pays pourrait intenter.
La Chine a également menacé l'UE de rétorsions commerciales, notamment contre le constructeur Airbus.
Le jugement de la Cour de justice "risque donc de provoquer une guerre commerciale entre l'Europe et les Etats-Unis", a indiqué à l'AFP un industriel du secteur sous couvert de l'anonymat.
Les compagnies européennes redoutent déjà d'être victimes de rétorsions. "Si ces tensions débouchent sur une guerre commerciale, il n'y aura pas de vainqueur", a averti le directeur général de l'Association des compagnies régionales européennes (ERA).
Mais Connie Hedegaard, commissaire en charge du Climat et chef de file dans ce dossier, refuse de céder.
"L'Union européenne veut que les compagnies aériennes respectent les lois européennes, tout comme l'Union européenne respecte les lois américaines", a-t-elle averti mercredi sur son compte tweeter. Elle a reçu un soutien appuyé des députés européens.
"On ne va ni renoncer, ni différer. La mesure sera de pleine application le 1er janvier 2012", a pour sa part déclaré à l'AFP son porte-parole Isaac Valero Ladron, en réponse aux mises en garde de Mme Clinton.
Les arguments des Européens sont récusés par 26 des 36 membres de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), dont les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Ils ont adopté début novembre une résolution non contraignante recommandant d'exempter les compagnies étrangères de la taxe carbone de l'UE.
La Chambre des représentants aux Etats-Unis est allée plus loin avec l'adoption d'un projet de loi interdisant aux compagnies aériennes américaines de s'acquitter de cette taxe.
L'obligation de payer pour 15% des émissions de CO2 devrait coûter 380 millions d'euros (528 millions de dollars) en 2012 aux compagnies desservant l'UE et cette facture annuelle augmentera encore en 2013, le quota d'émissions attribué gratuitement étant ramené de 85% à 82%.
Connie Hedegaard a déjà conseillé aux compagnies aériennes qui trouvent la facture trop salée d'augmenter leurs tarifs de 2 à 14 euros par trajet, selon qu'elles voudront refacturer ou non tout ou partie du coût des émissions aux passagers.
La commissaire trouverait même légitime que les transporteurs fassent payer aux passagers la totalité de leurs émissions, y compris les 85% d'émissions gratuites, dont elle estime la valeur à 20 milliards d'euros.