Pendant les manifestations anti-austérité qui ont agité l'Europe du sud mercredi, d'Athènes à Lisbonne, le banquier Charles Dallara, sorte de patron des patrons chez les banquiers de la planète, a fait sensation en lançant depuis Athènes une charge contre l'austérité.
Devant un parterre de banquiers grecs, l'Américain Charles Dallara, qui dirige l'Institut de la Finance Internationale (IIF), un organisme basé à Washington qui représente les 400 plus grandes banques du monde, a lancé un pavé dans la mare en estimant qu'il était "temps de reconnaître que l'austérité seule condamne non seulement la Grèce, mais l'intégralité de l'Europe à la probabilité d'une ère douloureuse".
Si la récession s'accélère, "il s'agirait d'une tragédie, pas seulement pour la Grèce et l'Europe mais pour le monde", a-t-il dit en lançant un appel pour que FMI et zone euro trouvent des solutions "créatives" et "non conformistes" afin de desserrer l'étau sur la Grèce et garantir la stabilité du système financier mondial.
Mettant l'accent sur la nécessité absolue d'un retour de la croissance, M. Dallara a sévèrement critiqué les cures d'austérité imposées à la Grèce depuis 2010 par ses créanciers, qui ont fait plonger l'économie du pays dans une récession historique cumulée équivalent à une chute de 20% du PIB.
Au moment où il parlait, l'Autorité des Statistiques grecques indiquait d'ailleurs que le PIB de la Grèce avait chuté de 7,2% sur un an au troisième trimestre 2012.
"Sans une stabilisation de l'économie et une reprise de la croissance, la viabilité de la dette ne sera jamais atteinte" a ajouté M. Dallara, critiquant l'obsession actuelle à l'égard de la réduction des déficits budgétaires qui devient un "cercle vicieux" condamnant à une récession sans fin.
"Ce que les prêteurs officiels devraient faire en priorité, c'est de réduire les taux d'intérêt" que la Grèce doit payer, aussi bien sur les anciens prêts que sur d'éventuels prochains prêts, a préconisé M. Dallara.
"C'est à la zone euro et au Fonds monétaire international (FMI) de trouver le bon dosage" entre baisse des taux d'intérêt et extension des maturités, a-t-il ajouté.
"Le FMI a un programme permettant à certains pays d'avoir accès à des prêts à taux zéro. Il est limité actuellement aux pays à bas revenus. Mais, veut-on vraiment attendre que la Grèce tombe dans cette catégorie pour reconnaître que les circonstances exceptionnelles entourant le cas grec aujourd'hui justifient quelques idées non conformistes en matière de politique de prêt au FMI?" a-t-il lancé.
M. Dallara a passé lui-même de longues nuits l'hiver dernier à Athènes à négocier au nom des banques privées face au gouvernement grec un effacement historique et volontaire de la dette souveraine détenue par les créanciers privés du pays.
Interrogé sur la pertinence d'un nouvel effacement de dette concédé cette fois par la zone euro, M. Dallara a estimé qu'une telle recette "mettrait le feu aux poudres en Europe", car cela équivaudrait pour la Grèce à ne pas rembourser ce qu'elle doit à chacun des 17 pays de la zone euro. "Ce n'est pas le moment" a-t-il dit.
M. Dallara a nettement mis la pression sur le FMI pour qu'il fasse un effort supplémentaire pour la Grèce. "Le FMI ne devrait pas se contenter de réduire les taux, mais il devrait aussi trouver les moyens d'accroître sa propre participation financière", a-t-il dit en espérant une "approche plus active" de la part du Fonds vis-à-vis d'une "stabilisation mondiale du système financier".
Dans la version écrite de son discours, il suggère même un chiffre sur le besoin additionnel de financement dont pourrait avoir besoin la Grèce au cours des deux prochaines années: "10 milliards d'euros".
Il a également lancé un appel à la banque européenne d'investissement (BEI) pour relancer d'urgence l'économie grecque asphyxiée.
"Les problèmes de la Grèce ne pourront pas être résolus sans des changements structurels dans le fonctionnement de la zone euro" a-t-il dit.
Rendant hommage à l'esprit d'entreprise des Grecs et à son gouvernement pour le paquet de mesures drastiques qu'il vient d'adopter au parlement, M. Dallara a clot son discours en lançant "Nous sommes tous Grecs".
"Dehors dans les rues d'Athènes, les gens sont en train de manifester contre l'austérité. Si mes mots aujourd'hui pouvaient avoir un effet, j'espère que le besoin de manifestations de ce type pourrait commencer à diminuer, et que l'abattement serait remplacé par l'espoir", a-t-il dit.