par Paul Carrel
FRANCFORT/PARIS (Reuters) - Ce n'est pas le moindre des paradoxes que de voir Arnaud Montebourg, l'un des responsables politiques européens les plus critiques à l'encontre de la Banque centrale européenne, poussé au départ d'un gouvernement français démissionnaire quelques heures seulement après un appel du président de la BCE Mario Draghi pour une politique budgétaire de soutien à la demande.
Mais quand en France l'éviction du contempteur de l'austérité budgétaire vise à trancher un débat interne à la majorité présidentielle sur la politique économique, les propositions du premier des responsables monétaires européens se placent d'emblée à l'échelle de la zone euro.
Fustigeant la réduction "dogmatique" des déficits (publics) et estimant que les choix n'étaient pas "figés", Arnaud Montebourg s'est posé en porte-parole des "frondeurs" de la majorité, une posture non dénuée d'arrière-pensées politiques alors que les ambitions s'affirment à droite comme à gauche dans la perspective de la présidentielle de 2017.
Son plaidoyer en faveur d'un soutien aux ménages a essuyé un démenti catégorique de l'exécutif, le chef de l'Etat demandant au Premier ministre reconduit "de constituer une équipe en cohérence avec les orientations qu'il a lui-même définies".
François Hollande et Manuel Valls n'avaient eu de cesse dans les jours précédents de souligner leur volonté de maintenir le cap de la réduction des déficits et des réformes structurelles en dépit d'une croissance en berne, d'un chômage record et de leur impopularité.
"CHANGEMENT BRUTAL ET PROFOND"
Intervenant vendredi à l'occasion du grand rendez-vous de rentrée des banquiers centraux à Jackson Hole, aux Etats-Unis, Mario Draghi a déclaré qu'il pourrait être "bénéfique pour l'orientation générale de la politique (économique)" que la politique budgétaire joue un plus grand rôle aux côtés de la politique monétaire de la BCE. Il a ajouté : "Je crois qu'il y a des marges de manoeuvre pour cela".
Des propos qui tranchent avec l'assentiment tacite de la BCE aux politiques d'austérité au sein de la zone euro, prônées en particulier par la chancelière allemande Angela Merkel.
De fait, le président de la BCE se montre plus enclin au soutien budgétaire qu'à l'austérité.
"C'est un changement brutal et profond de perspective", relève Philippe Waechter, économiste de Natixis Asset Management.
La politique budgétaire adoptée dans les différents pays de la zone euro partait du principe que l'équilibre budgétaire dans chaque pays favorisait sa croissance et son emploi.
"Draghi indique que ce n'est sûrement pas la bonne solution pour soutenir la demande, dynamiser l'emploi et in fine écarter le risque de déflation", poursuit Philippe Waechter.
"Le modèle actuel nie l'existence d'une politique budgétaire de la zone euro, celui proposé par Draghi la met au premier plan."
L'économie de la zone euro, qui a calé au deuxième trimestre, est menacée d'une rechute en récession alors que l'inflation est au plus bas.
La BCE n'a pourtant pas ménagé ses efforts, abaissant ses taux directeurs à des plus bas records, alimentant massivement les banques en liquidités et leur offrant un programme de refinancement ciblé à compter du mois de septembre et se disant prêt à faire plus si nécessaire.
PROPOS ALARMISTES
Pour autant, et Draghi ne s'est pas fait faute de le souligner dans son discours de Jackson Hole, les "marchés financiers ont indiqué que les anticipations d'inflation montraient des baisses significatives sur tous les horizons" en août.
Il a notamment relevé la baisse du point mort d'inflation à cinq ans dans cinq ans, l'indicateur privilégié par la BCE pour apprécier les anticipations d'inflation. Il a reculé de 20 points de base sur le seul mois d'août pour tomber à 1,96%, proche de son plus bas record de 1,90% atteint en 2010.
"Le conseil des gouverneurs de la BCE surveillera ces développements et dans le cadre de son mandat utilisera tous les instruments nécessaires pour assurer la stabilité des prix à moyen terme", a prévenu Draghi à Jackson Hole.
Un engagement qualifié d'alarmiste par Christian Schulz, économiste à la banque Berenberg.
La prochaine réunion de politique monétaire du conseil des gouverneurs de la BCE se tiendra le 4 septembre alors que les opérateurs jugent de plus en plus probable qu'elle se lance dans un programme massif de rachats d'actifs à l'instar de ceux conduits par la Réserve fédérale américaine, la Banque d'Angleterre et la Banque du Japon.
Draghi a toutefois rappelé dans son discours l'incapacité de la BCE à faire comme les autres banques centrales qui peuvent garantir la dette publique, constatant que la seule politique monétaire ne suffit plus face à une demande trop réduite en zone euro pour remettre en marche et soutenir la machine économique.
Pour lui, la question de la croissance au sein de la zone euro ne se réglera que par la mise en oeuvre d'une dynamique commune et non par la somme des efforts de chacun.
"Cela ne veut pas dire pour autant que chaque pays membre pourra faire l'économie de réformes structurelles car il y a des dysfonctionnements majeurs dans plusieurs économies", relève Philippe Waechter. Mais cela signifie d'après lui que "la croissance n'est l'affaire ni d'un pays ou d'un autre mais une question collective qui ne peut être réglée que collectivement."
(Paul Carrel avec Marc Joanny pour le service français, édité par Véronique Tison)