Pommes tachées, carottes difformes et concombres tordus comme nouveau créneau d'avenir? Certains distributeurs européens misent sur les fruits et légumes disgracieux pour se forger une image de pourfendeur du gaspillage.
Edeka, premier distributeur d'Allemagne, a lancé cette semaine un projet-pilote de vente de ces produits normalement destinés au rebut ou à nourrir les animaux.
Le consommateur "achète aussi avec les yeux, et s'est habitué à certaines normes" de forme ou de couleur, explique Gernot Kasel, porte-parole d'Edeka. Pour rompre avec cela, un certain nombre des magasins de l'enseigne vont proposer pendant quatre semaines des produits s'écartant des normes, assortis du slogan "Personne n'est parfait", et à un prix inférieur à celui des fruits et légumes "normaux".
En Suisse, Coop a lancé au cours de l'été une gamme baptisée "Ünique" pour commercialiser ces "humeurs de la nature". Après des abricots tachés par la grêle, ce sont entre autres des carottes à trois pattes qui cherchent preneur, environ 60% moins chères que les "première classe", précise Nadja Ruch, porte-parole du premier distributeur du pays.
"Il y aurait de la marge pour vendre encore plus de ces produits, qui ont trouvé leur clientèle au-delà de nos espérances", explique Mme Ruch. Coop propose les fruits et légumes malformés dans environ un tiers de ses magasins.
Chez l'allemand Rewe, les "Wunderling" ("merveilles étonnantes") se vendent depuis la semaine dernière, pour le moment seulement dans ses magasins en Autriche.
Le britannique Sainsbury's avait ouvert la voie l'an dernier. Une météo désastreuse avait fortement amputé les récoltes et s'était traduite par une proportion anormalement élevée de fruits et légumes abîmés et malformés. La chaîne s'était tout de même engagée à acheter toute la récolte de ses fournisseurs, produits imparfaits compris.
Dans l'air du temps
"Ce n'est pas une décision guidée par des considérations économiques", fait valoir Rewe. L'expérience, qui sera étendue à d'autres pays si le test autrichien est probant, est "une mesure concrète contre la culture du gaspillage".
Selon une étude récente de la FAO, un milliard de tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année, pour un coût d'environ 750 milliards de dollars. Et alors que nombre d'associations et organisations dénoncent régulièrement le phénomène, 2014 a été décrétée "année européenne contre le gaspillage alimentaire" par l'Union européenne. Avec leurs projets, Edeka, Coop et consorts sont donc dans l'air du temps.
Et ce d'autant plus que, précise Rewe, les produits proposés "sont d'une qualité optimale et bons". Or, pour les consommateurs, goût, provenance et qualité sont de plus en plus importants. Dans l'alimentaire, le goût est maintenant le critère d'achat numéro un pour les Allemands, avant même le prix, selon une étude de l'institut Ipsos.
Du point de vue des producteurs, écouler les légumes difformes "est secondaire", déclare Jochen Winkhoff, en charge du segment "légumes" au sein de la fédération allemande des agriculteurs.
Maraîchers et fruitiers sont certes contents de trouver preneurs pour ces produits et se félicitent que leur introduction dans les rayons puisse permettre aux consommateurs "de se poser de vraies questions sur la nature".
Mais loin d'eux l'idée de remettre en cause les normes strictes qui régissent leurs relations commerciales avec les distributeurs.
"Elles ont leur entière justification, quand on fixe les prix par exemple, puisque de nos jours tout se fait par téléphone ou sur internet, il faut bien être sûr que l'on parle tous de la même chose", explique M. Winkhoff.
Ce sont les normes Unece, définies au sein de la commission économique pour l'Europe des Nations unies, qui font foi pour l'essentiel des transactions, et ce dans toute l'Europe. D'après elles, le roussissement d'un abricot ne doit pas dépasser 15% de sa surface et les courgettes doivent faire plus de sept centimètres et ne pas présenter de cavités.