Le tribunal de commerce de Marseille doit se prononcer lundi sur l'éventuelle prolongation de la période d'observation de la SNCM alors que la compagnie maritime, en redressement judiciaire, fait face à d'énormes incertitudes et à l'impatience de Bruxelles.
Lors d'une audience le 22 avril, le procureur de la République de Marseille, Brice Robin, a requis une telle prolongation, de 6 mois, jugeant "insatisfaisantes" les trois offres de reprise qui devaient être examinées ce jour-là. Une sorte de coup de théâtre. Le magistrat marseillais a également demandé au tribunal d'organiser un nouvel appel à candidatures, tout en donnant rendez-vous en septembre pour une analyse de ces offres.
Un éventuel feu vert des juges consulaires à cette requête permettrait-il pour autant d'éclaircir l'avenir de la société ?
"S'il s'agit juste de passer la saison et de se retrouver en liquidation en septembre, c'est tout sauf une solution", estime Maurice Perrin, représentant CFE-CGC.
Il juge toutefois "naturel" que le tribunal se pose la question d'une prolongation, car c'est "une véritable montagne à gravir", dont il avait hérité le 22 avril.
Aucun des doutes entourant les trois offres de reprise, toutes assorties de conditions suspensives, n'est en effet levé.
A commencer par la lourde menace de remboursement de 400 millions d'euros d'aides publiques, considérées par Bruxelles comme indûment perçues.
Cette condamnation avait officiellement poussé les actionnaires, Transdev (66%) et l'Etat (25%), à précipiter le redressement judiciaire. Celui-ci aurait permis, selon eux, de s'en affranchir, à condition de recréer une société suffisamment différente pour pouvoir parler d'une "discontinuité économique".
Les trois candidats -le groupe corse Rocca, l'ex-directeur du port de Marseille Christian Garin et la société Baja Ferries- voulaient avoir la certitude de ne pas avoir à rembourser ces montants. Or, les discussions avec la Commission "n'ont toujours pas abouti", reconnaissait Transdev début avril.
Bruxelles vient d'ailleurs de nouveau de s'inviter dans le dossier. Dans un courrier du 27 avril aux autorités françaises, la Direction de la concurrence de la Commission européenne a mis en garde: "seule une prolongation d'un mois, voire de deux mois, serait de nature à ne pas compromettre les effort déjà engagés" pour trouver une "solution".
Autre grand point d'interrogation : la transmissibilité de la délégation de service public (DSP) de la desserte entre la Corse et le continent de 2014 à 2024, un méga-contrat de 570 million d'euros. Le 7 avril, l'attribution de cette DSP à la SNCM et à La Méridionale a été annulée - à compter d'octobre 2016 - par le tribunal administratif de Bastia, à la suite d'une plainte du concurrent Corsica Ferries.
Bruxelles l'a en tout cas clairement signifié dans ce même courrier: la DSP ne saurait être transmise à un quelconque repreneur, condition à ses yeux de cette fameuse "discontinuité économique".
- saison incertaine -
Le volet social des différents plans de reprise - entre 500 et 800 salariés maximum maintenus, contre 1.500 CDI aujourd'hui - ainsi que leur financement jugé incomplet, nourrissent également l'insatisfaction des administrateurs, du procureur et du personnel de la compagnie.
"Le tribunal doit rejeter purement et simplement ces offres prédatrices, pour relancer un nouvel appel d'offres, incluant la continuité. Des poursuites doivent aussi être engagées contre dirigeants et actionnaires, qui doivent apporter une garantie de passif assurant une solution pérenne, pour l'arrivée d'un nouvel actionnaire à la place de Transdev sans démonter la compagnie, tout en la restructurant", affirme Frédéric Alpozzo, représentant CGT.
Dans ces conditions, qualifiées de "faillite judiciaire et politique" par la CFE-CGC, le voeu réitéré de la direction de Transdev "qu'un repreneur soit désigné avant la saison" d'été paraît fort compromis.
Cette dernière, elle aussi, s'annonce incertaine.
La direction n'a commercialisé à ce jour que 300.000 places, contre 900.000 l'an dernier, "une offre correspondant au dénominateur commun des candidats à la reprise, pour n'en favoriser ou pénaliser aucune", explique-t-elle. Il s'agit de navires mixtes fret-passager.
Sur "quelques week-ends de pointe", ajoute-t-elle, un car-ferry avec une jauge passagers bien supérieure sera néanmoins mis en service "pour apporter à la Corse les capacités de transport dont elle a besoin".
Pour la CFE-CGC, "le redressement judiciaire freine les réservations. Mais il ne faudrait pas grand-chose pour qu'elles repartent": comme par exemple un "message clair de la compagnie".