Jérôme Kerviel devra-t-il verser des dommages-intérêts faramineux, 4,9 milliards d'euros, à la Société Générale? Si la cour d'appel de Versailles devait suivre vendredi le parquet, pour qui la banque n'y a pas droit, ce serait une immense victoire pour l'ex-trader.
La Cour de cassation a confirmé en 2014 la condamnation à cinq ans de prison, dont deux avec sursis, de Jérôme Kerviel pour abus de confiance, faux et fraude. Mais elle a cassé le volet civil, c'est-à-dire les dommages et intérêts octroyés à la banque, arguant que cette dernière avait failli dans ses mécanismes de contrôle et ne pouvait donc prétendre à un dédommagement intégral des pertes imputées à son ex-salarié.
Après huit ans de procédures, à l'audience du 17 juin l'avocat général de la cour d'appel de Versailles, qui rejugeait Jérôme Kerviel sur ce volet civil, a enfoncé le clou. La banque a "commis des fautes civiles, distinctes et de nature différente des fautes pénales de Jérôme Kerviel, qui apparaissent suffisantes pour entraîner la perte totale de son droit à réclamer une compensation intégrale de ses pertes", a estimé dans ses réquisitions Jean-Marie d'Huy.
Le magistrat n'a en revanche pas demandé d'expertise financière, réclamée avec insistance par la défense. Pour Me David Koubbi, avocat de Jérôme Kerviel, cette expertise représenterait pourtant "une chance historique de savoir ce qui s'est passé dans ce dossier".
"Dans cette affaire, la justice a dysfonctionné", estime l'avocat. "Jérôme Kerviel, condamné à la prison, n'y est pas car à l'évidence ça n'était pas sa place. Il a été condamné à payer 4,9 milliards d'euros et ça a été cassé. Maintenant je veux terminer cette affaire, avec une relaxe pour sa réhabilitation", a-t-il indiqué à l'AFP, faisant référence à une tentative parallèlement en cours pour faire réviser le procès.
- Enjeu fiscal -
La Société Générale (PA:SOGN) ne l'entend évidemment pas de cette oreille. "La Cour de cassation ayant confirmé les décisions du tribunal correctionnel et de la cour d'appel de Paris entérinant ainsi définitivement les condamnations de Jérôme Kerviel, (...) il n'est pas vraisemblable que la cour d'appel de Versailles décide de priver la banque de dommages-intérêts", estime Me Jean Veil.
La banque avait souligné le 17 juin avoir "toujours reconnu les faiblesses et négligences de (ses) systèmes de contrôle". "Mais ce sont les agissements frauduleux de Jérôme Kerviel qui les ont mis en échec", selon elle.
Si la cour suit le ministère public, il ne s'agira pas seulement d'une retentissante défaite symbolique pour la Société Générale, qui de toutes façons ne pouvait espérer que son ex-employé lui verse la somme astronomique de 4,9 milliards. L'enjeu est aussi fiscal.
Le géant bancaire a en effet touché près de 2,2 milliards d'euros de l'Etat en 2009 et 2010, au titre d'un régime fiscal accordé aux entreprises déficitaires et victimes de fraude. Mais Bercy a laissé entendre que ce bonus fiscal pourrait être remis en cause si la justice épinglait des défaillances dans les mécanismes de contrôle.
Un rapport, adressé au parquet et récemment cité dans la presse, soulignait dès mai 2008 ces enjeux fiscaux. Dans ce rapport était stipulé que la banque apparaissait "particulièrement intéressée à faire connaître l'existence d'une fraude complexe, rendant inopérants les systèmes de contrôle interne".
Ce document "a été sciemment dissimulé", avait réagi Me Koubbi. "Combien de preuves de ces pratiques nauséabondes faudra-t-il encore apporter pour que Hollande et Urvoas se saisissent des manœuvres de la banque avec le concours de certains magistrats du parquet de Paris?", avait-il lancé en interpellant le chef de l'Etat et le ministre de la Justice.
Plusieurs plaintes ont été déposées par M. Kerviel, portant en partie sur la ristourne fiscale. L'élu EELV Julien Bayou a lui aussi lancé une procédure devant la cour administrative d'appel de Paris pour faire annuler ce qu'il appelle "le cadeau fiscal" de Bercy à la Société Générale.