par Julien Ponthus et Mark John
BRUXELLES (Reuters) - L'adoption d'un plan de sortie de crise pour Athènes récompense une prise de risque importante pour François Hollande, qui a fait de sa lutte contre le "Grexit" un cheval de bataille sur la scène européenne, quitte à sérieusement faire tanguer le couple franco-allemand.
"Cela a été extrêmement dur, pour ne pas dire violent", témoignait au coeur d'un week-end de négociations marathon son ministre des Finances, Michel Sapin, qui a reconnu "une longue explication" avec son homologue allemand, Wolfgang Schäuble.
Porte-drapeau des "faucons" de l'euro, ce dernier a longtemps défendu la sortie des Grecs de la zone euro comme option de travail, ralliant dans son camp de nombreuses capitales excédées par les revirements politiques du gouvernement d'Alexis Tsipras.
Arrivés dimanche à Bruxelles pour un sommet qui ne s'est conclu qu'au terme d'une nuit blanche de négociations, le chef de l'Etat français et la chancelière allemande n'ont guère pu dissimuler l'écart qui séparait encore leurs positions sur ce dossier brûlant pour l'avenir de la construction européenne.
Alors qu'Angela Merkel prévenait qu'elle n'accepterait pas un accord "à n'importe quel prix", François Hollande reprenait son appel à "tout faire" pour maintenir l'intégrité de la zone euro.
Sitôt l'accord conclu lundi, Paris et Berlin se sont empressés de revendiquer une part du succès au nom du couple franco-allemand même si le locataire de l'Elysée a pu se poser à travers ses déclarations finales comme le garant de "l'intérêt général" de l'Europe.
Parfois isolé avec Rome lors des discussions sur la situation grecque, Paris a décidé d'user de tout son poids politique au cours du dernier mois de crise pour trouver un accord politique alors même que le "Grexit" -- la sortie de la Grèce de la zone euro -- devenait le scénario central des marchés financiers et de nombreuses capitales européennes.
"AIDE MOI À T'AIDER"
"Si le 'Grexit' est évité, cela montrera que Hollande a été un facilitateur et a contribué à éviter une catastrophe géopolitique", estime Rem Korteweg, chercheur au think tank Centre for European Reform.
"La France est une voix complètement déterminante en Europe", souligne l'analyste, pour qui "Hollande est devenu un partenaire obligé pour maintenir la cohésion politique".
Le soutien technique apporté par la France aux négociateurs grecs ces derniers jours a fait grincer les dents chez les plus intransigeants des Etats membres, mais il est révélateur du rôle joué par Paris, où l'on reconnaît en privé la réalité d'un "coup de main d'assistance politique" à Athènes.
"Aide-moi à t'aider", avait demandé François Hollande à Alexis Tsipras au soir du 5 juillet, quand le triomphe du non au référendum organisé par Athènes, avec un score de près de 62%, avait renforcé l'hypothèse d'un "Grexit".
Alors que des membres du gouvernement allemand évoquaient ouvertement la fin des négociations après ce vote, Angela Merkel s'était jointe à François Hollande pour appeler à un nouveau sommet dit de la "dernière chance" mardi à Bruxelles.
La veille, les deux dirigeants ont tenu une réunion de travail à l'Elysée pour parvenir à une position commune avant de retrouver leurs pairs dans la capitale belge.
"UNE DES PHRASES QUI ONT SAUVÉ LA GRÈCE"
Cette soirée a été déterminante pour la suite des événements assure-t-on de source diplomatique française, en notant que les deux dirigeants ont employé la même formule, à savoir que la "porte rest(ait) ouverte aux discussions" avec la Grèce.
"Cela pourra rester comme une des phrases qui ont sauvé la Grèce", commentait ce soir-là un diplomate, pour qui "on a réussi à rattraper par la manche" une Allemagne qui semblait durcir inexorablement son discours après le référendum.
Une position commune que ne laissaient pourtant pas présager les divergences franco-allemandes apparues au grand jour la semaine précédente.
Le président français avait pris, le 1er juillet, le contre-pied d'Angela Merkel en exhortant Athènes et ses partenaires européens à parvenir "tout de suite" à un accord, avant le référendum, alors que la chancelière n'entendait reprendre les discussions qu'après la consultation populaire.
"PAS FACILE POUR MADAME MERKEL"
Sitôt un sursis de 48 heures obtenu pour de nouvelles propositions grecques lors du sommet du 7 juillet, les responsables français n'ont cessé de prendre la parole pour défendre mordicus la possibilité d'un accord face au scepticisme, voire l'hostilité de certaines capitales.
"Nous voulons que la Grèce reste dans la zone euro et la France fera tout pour ça", avait lancé dès le lendemain devant l'Assemblée nationale Manuel Valls.
Quelques heures après, François Hollande déclarait que "la France, elle fera en sorte que la Grèce puisse être encouragée à produire les éléments les plus précis possible pour donner la confiance".
Vendredi, après que les négociateurs grecs ont déposé leur plan de réforme à Bruxelles, le président français a été l'un des seuls dirigeants européens à le défendre publiquement.
En privé, François Hollande estime que la France a fait le pont entre Athènes et Berlin plutôt que de jouer la carte de la Grèce contre l'Allemagne.
"L'Allemagne n'a pas envie d'être dans un face à face avec la Grèce qui la placerait en situation d'être responsable en cas de désaccord et la Grèce a intérêt à avoir un autre partenaire jugé plus ouvert. Et nous-mêmes, ça ne servirait à rien d'être dans un face à face avec la Grèce si l'Allemagne ne suivait pas", expliquait le président lors des négociations.
"Ce n'est pas facile pour Madame Merkel", a même dit au cours de ses échanges avec le Premier ministre grec François Hollande, tentant de concilier les positions.
GAINS POLITIQUES LIMITÉS EN FRANCE
Sur le plan intérieur, le président français a marqué des points contre son rival de droite Nicolas Sarkozy qui, après avoir pris une position de fermeté contre la Grèce, a semblé effectuer un virage à 180 degrés en se prononçant pour un maintien de ce pays dans la zone euro.
Face à son aile gauche frondeuse qui a pris fait et cause pour le non et Alexis Tsipras, François Hollande peut aussi faire valoir sa capacité à influencer une Allemagne qu'elle voit comme la championne des politiques d'austérité et battre en brèche l'idée qu'il refuse la confrontation.
Mais pour certains analystes, la victoire diplomatique remportée par le président sur le théâtre européen ne marquera pas pour autant un tournant pour le quinquennat.
"Je ne suis pas convaincu que les bénéfices politiques soient instantanés et massifs", estime Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l'Ifop, pour qui les difficultés économiques et diplomatiques de la Grèce continueront.
"Derrière cela, très vite, l'idée qui s'imposera c'est que vraisemblablement on a de nouveau une nouvelle fois mis une rustine sur la chambre à air des problèmes de la Grèce", dit l'analyste, qui rappelle que les Français sont très partagés sur la question de la dette grecque.
"Attention à une espèce d'effet d'optique qui consisterait à penser que les Français sont massivement du côté des Grecs (...) les Français sont très partagés sur cette question et pour eux, la responsabilité incombe d'abord aux Grecs eux-mêmes."
(Avec Elizabeth Pineau à Paris, édité par Yves Clarisse)