Les acteurs du monde vinicole prennent "au sérieux" l'enquête antidumping et un risque de rétorsion commerciale de la Chine sur les vins européens, mais sans paniquer encore pour leur accès à un marché au "potentiel gigantesque" pour le vin français, le Bordeaux en particulier.
"Nous abordons le problème avec beaucoup de sérieux. Nous n'en sommes pas encore aujourd'hui à des menaces de rétorsion mais c'est la suite qui pourrait être donnée", a déclaré, prudent, mercredi à l'AFP Allan Sichel, président de la Fédération des négociants en vin de Bordeaux et cadre dirigeant de l'interprofession (CIVB).
La Chine représente le 3e marché à l'export pour le vin français, et près de 800 millions d'euros de chiffre d'affaire. Elle "constitue une part importante des débouchés de notre filière et donc des 500.000 emplois de celle-ci", a rappelé mercredi la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux français (FEVS), qui a regretté "l'instrumentalisation du secteur" dans un différend commercial (panneaux solaires) qui n'a rien à voir avec le vin.
Chaque année plus importante pour le vin français, la Chine est devenue il y a deux ans la première destination (23% en 2012) des Bordeaux, lesquels représentent l'essentiel des vins français en Chine, souligne M. Sichel. "Donc c'est Bordeaux qui serait touché en premier" par une hausse des taxes chinoises.
"Cela aurait des répercussions énormes, sur les stocks, donc sur les cours, avec une baisse de prix significative qui serait catastrophique pour la plupart des viticulteurs", ajoute-t-il. En Gironde, la filière génère 55.000 emplois direct ou indirects, selon le CIVB.
L'inquiétude point aussi en Beaujolais, où la filière pèse 10.000 emplois, et où "la Chine devient un marché de plus en plus stratégique pour l'ensemble des vins", selon Jean Bourjade, délégué général de l'interprofession Interbeaujolais.
La France n'est pas la seule soucieuse. Pour le syndicat agricole italien Coldiretti, des taxes chinoises risqueraient "de bloquer une tendance qui a vu ces dernières années quadrupler les ventes de bouteille Made in Italy" sur le marché chinois.
"Tous les secteurs ont connu cela"
Pour autant, les opérateurs sont partagés sur la réalité de la menace.
"Je pense que la Chine ne blague pas, d'autant qu'en même temps ils sont en train de planter des vignes partout", estime Michel Chapoutier, co-président d'Inter-Rhône, l'interprofession des Vins de la vallée du Rhône où la Chine n'est encore que le 7e marché à l'export, mais à forte croissance (+70% en 2012).
"On est quand même très inquiet. En attendant, nous allons réduire nos investissements là-bas et si ça se confirme, nous les arrêterons", ajoute-t-il.
En Champagne, pour qui la Chine est un petit marché mais dynamique (+51,8% en 2012), l'interprofession du CICV se dit "attentive et très vigilante sur le sujet. Mais sans information précise on évitera les inquiétudes irrationnelles", indique Thibaut Le Mailloux.
En fait, c'est à Bordeaux qu'on tempère et rappelle qu'"aujourd'hui on est très loin" d'un scénario de rétorsions effectives, considère M. Sichel. Pour lui, il est possible pour l'UE de "désamorcer" le différend commercial, dialoguer, négocier, car "la réalité est qu'il n'y a pas de dumping" sur les vins européens.
La menace chinoise intervient à dix jours de l'ouverture à Bordeaux du salon Vinexpo, un des plus grands rendez-vous de vins et spiritueux au monde, qui précisément cette année doit saluer une présence décuplée de la Chine avec près de 20 exposants contre deux à la dernière édition en 2011.
Son directeur général, Robert Beynat, est convaincu qu'"il n'y a pas trop à s'émouvoir" du conflit commercial actuel. "Tous les secteurs ont connu cela, vin ou autres produits. Il y a toujours eu des conflits, c'est cela le commerce international", dit-il, rappelant des conflits passés avec les Etats-Unis sur le vin.
"Les Chinois sont les plus grands commerçants du monde et sauront négocier avec l'UE un compromis", estime-t-il, confiant que le "commerce de vin continuera" avec un marché chinois estimé "entre 200 à 250 millions de consommateurs".
"Un marché au potentiel gigantesque", convient M. Sichel, en évoquant la marge de progression de la consommation de vin en Chine, actuellement de l'ordre de 0,2 litres par habitant et par an contre environ 50 litres en France.