par Gregory Blachier
PARIS (Reuters) - La tragédie grecque offerte par le Front national aura peu d'impact pour Marine Le Pen qui, débarrassée de son père, mène à son terme la stratégie de normalisation dont elle a fait le pilier de son ambition présidentielle, estiment des analystes.
Jean-Marie Le Pen a réagi violemment à la décision, lundi, du bureau exécutif de le suspendre de son statut d'adhérent, un prélude à son exclusion du FN sur lequel il a régné sans partage pendant plus de quarante ans, depuis sa fondation en 1972.
Après la répétition de dérapages verbaux sur les chambres à gaz nazies durant la Seconde Guerre mondiale, un "détail" de l'histoire selon lui, et sur le maréchal Pétain qu'il défend, le père et la fille se livrent une guerre publique.
L'ancien président du Front national s'est dit "trahi" par sa fille, qui lui a succédé en 2011, a dit la répudier et lui a intimé de lui "rendre (son) nom".
Mais s'il demeure député européen et président du groupe FN en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et si sa parole reste écoutée chez certains des plus anciens militants, sa capacité d'entrave paraît limitée, en interne ou à l'extérieur.
"Depuis qu'il y a eu la succession en 2011, ce qui ressort, c'est que les militants, y compris les proches de Jean-Marie Le Pen, ceux qui ont fait leur ascension avec lui, ont tendance à le mettre dans la case 'passé'", souligne le chercheur Sylvain Crépon, spécialiste du FN.
"Tout le monde a un peu tourné la page de Jean-Marie Le Pen, il y a des soutiens de la première heure mais qui ne pèsent que peu de poids", ajoute ce membre de l'Observatoire des radicalités politiques-Fondation Jean-Jaurès.
"Il doit avoir un peu un pouvoir de nuisance, il va sortir des cadavres des placards, il faut voir au niveau de Jeanne (le micro-parti de Marine Le Pen), des finances. Mais ils ont dû voir que ça n'aurait pas tant d'incidences que ça."
MARINE LE PEN CONFORTÉE ?
Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l'Ifop, voit même Marine Le Pen sortir confortée de la rupture.
"Le fondateur est en bout de parcours. Il ne pourrait pas entraîner avec lui une part substantielle des cadres et des électeurs du FN", disait-il lundi dans Le Figaro.
"A terme, cela peut ne pas être néfaste à la dynamique impulsée par Marine Le Pen. Elle pourrait acter et crédibiliser symboliquement son discours de rupture (...) Tout le monde a compris qu'une page est en train de se tourner."
En réalité, la page se tourne doucement depuis plus de dix ans et cette énième provocation a permis de lancer l'ultime étape d'un long processus, selon Sylvain Crépon.
"Peut-être qu'ils attendaient la bonne occasion", dit-il.
Ce très bon connaisseur des arcanes du FN rappelle que l'entourage de Marine Le Pen s'est constitué en 2002 avec des personnalités qui ont réfléchi non pas au succès du premier tour de la présidentielle, qui a vu Jean-Marie Le Pen se qualifier aux dépens de Lionel Jospin, mais aux causes de la défaite. Au second tour, Jacques Chirac avait été élu avec 82,21% des voix.
"Ils étudient les travaux qui montrent que dans les années 1990-2000, entre 40% et 50% des électeurs de Jean-Marie Le Pen ne veulent pas qu'il devienne président, d'une part parce qu'il n'a pas l'étoffe, d'autre part parce qu'il est un danger pour la République", observe-t-il.
BOULET
Débute la stratégie de dédiabolisation, de normalisation qui doit permettre au FN de s'inviter régulièrement au second tour et qui accélère avec l'arrivée à sa présidence de Marine Le Pen.
"Les proches de Marine Le Pen sont, depuis 2011, embarrassés avec le vieux (...) Tout le monde considère que c'est un boulet maintenant", souligne Sylvain Crépon, selon qui Marine Le Pen avait intérêt à faire un sort à son père au plus tôt avant 2017.
Les propos de Florian Philippot, à qui beaucoup prêtent une considérable influence sur sa présidente, valident cette thèse quand il parle comme mardi sur RFI de "transformer (le FN) en machine de guerre pour les élections qui viennent".
Pour Pascal Perrineau, chercheur au Cevipof et auteur de "La France au Front", Marine Le Pen n'est toutefois pas tout à fait à l'abri de Jean-Marie Le Pen, qui ne va "pas la lâcher".
"Il a encore des moyens de parler, de s'exprimer et peut-être de continuer à gêner sa fille", dit-il en relevant que Marion Maréchal-Le Pen hésite à mener la liste aux régionales de décembre en Paca en raison du conflit familial.
Le politologue voit aussi un écueil dans "la brutalité du processus", "la violence de la présidente qui semble brouiller un peu son image"." Mais, reconnaît-il, ça ne semble pas lui nuire pour l'instant. Il faudra attendre les enquêtes."
Or la dernière en date, réalisée par Odoxa et publiée mardi dans Le Parisien, place Marine Le Pen en tête des intentions de vote si la présidentielle avait lieu cette semaine, avec 29% des voix devant Nicolas Sarkozy et le candidat socialiste. Si celui-ci était François Hollande, elle le battrait au second tour.
(Edité par Yves Clarisse)