Au moment où la zone euro ralentit la cadence de la rigueur budgétaire, l'heure est à un premier bilan de l'austérité appliquée jusqu'ici à marche forcée. Un "succès", plaide l'Allemagne. Une erreur, répondent des économistes, alors que d'autres y voient un mal nécessaire.
En pleine récession, et face à la grogne sociale, plusieurs gouvernements européens ont décidé de se donner un peu plus de temps pour réduire leurs déficits. Et Bruxelles a fini par admettre les limites de l'austérité.
Pour autant, le débat sur la stratégie adoptée jusqu'ici n'est pas tranché.
C'est "déjà un succès", affirme le ministère allemand des Finances, chiffres à l'appui. De fait, confirme la Commission européenne, le déficit public de la zone euro est passé d'environ 6% du produit intérieur brut (PIB) en 2011 à moins de 3% cette année. Et à ceux qui demandent un changement de rythme, elle répond: le ralentissement est en cours, puisque l'effort structurel de réduction des déficits est moitié moindre en 2013 qu'en 2012.
Sans en nier les résultats, des économistes interrogés par l'AFP contestent le bien fondé de ces choix.
"Si l'objectif était de casser la croissance et d'augmenter de plusieurs millions le nombre de pauvres en Europe, alors c'est une réussite!", ironise Philippe Askenazy, de l'Ecole d'économie de Paris.
Ce membre du collectif des "économistes atterrés", classé à gauche, constate "un cercle vicieux: sans croissance, les pays sont incapables d'atteindre leurs objectifs budgétaires donc ils font plus d'austérité, ce qui casse davantage la croissance et rend encore moins possible d'atteindre les objectifs".
Jean Pisani-Ferry estime aussi que "l'Europe a fait l'erreur de tout miser sur la réduction des déficits". Celui qui vient de quitter la direction du cercle de réflexion européen Bruegel pour conseiller le gouvernement français affirme que les Européens auraient dû, avant de serrer à ce point la vis budgétaire, régler "les problèmes de l'économie privée" et améliorer "les conditions du financement bancaire".
"Il y a eu un raté", reconnaît l'économiste en chef de la Deutsche Bank, Gilles Moëc, "toute la stratégie a été pensée avec l'idée que la consolidation budgétaire serait compensée par une politique monétaire accommodante". Mais il s'est avéré que les fragilités bancaires ont empêché de bien transmettre les bienfaits de cette politique monétaire à tous les pays de la zone euro.
L'austérité a donc eu des effets bien plus négatifs sur l'activité économique que ne le prédisaient officiellement les institutions internationales et les gouvernements.
Mais certains estiment qu'il n'y avait pas d'alternatives possibles.
Pour Gilles Moëc, les Européens n'avaient pas d'autre choix que de suivre la voie empruntée. "On ne peut pas faire autre chose que ce que les marchés sont prêts à accepter", résume-t-il. Selon lui, "en 2009, promettre autre chose qu'une réduction des déficits aurait été suicidaire, parce que les marchés à l'époque étaient incapables d'entendre un autre discours".
Surtout, insiste-t-il, cette première phase douloureuse a permis aux Etats européens de faire la démonstration de leur crédibilité budgétaire, ce qui les autorise aujourd'hui à relâcher l'effort.
"D'autres voies étaient possibles", rétorque Philippe Askenazy. Il évoque notamment "un autre choix institutionnel": "si la Banque centrale européenne avait joué son rôle de parapluie pour les dettes européennes il n'y aurait eu aucune spéculation, comme il n'y a pas de spéculation sur la dette américaine, et on aurait pu se passer totalement de l'austérité".
Mais ce "choix politique" supposait de modifier les traités européens et, donc, d'avoir "des leaders européens courageux", glisse-t-il, soulignant qu'en 2010, la chancelière allemande Angela Merkel, chantre de la rigueur, avait face à elle "un Nicolas Sarkozy déjà affaibli en France, un Silvio Berlusconi sans consistance en Italie et José Luis Zapatero en fin de mandat en Espagne".