Laisser la terre reposer pour qu'elle travaille davantage et s'en remettre à la nature et aux vers de terre, les meilleurs des ouvriers agricoles. L'agriculture "sur sol vivant" convainc les producteurs qui ont sauté le pas.
Cette façon de cultiver la terre, sans labour mais avec des cultures qui la nourrissent sans la salir, est l'une de ces pratiques que le gouvernement veut promouvoir avec sa journée "Produire autrement", mardi, pour cesser d'opposer agriculture et écologie.
Vue du fossé, la parcelle de Vincent Baron près de Thouars (Deux-Sèvres) a l'air d'un champ abandonné: pailles grises de luzerne et débris végétaux couvrent la terre entre les semis de blé déjà levés. De près pourtant, le parterre bourgeonne, comme fleuri par une multitude de tortillons de terres. Ces turricules sont précisément la marque d'un sol en bonne santé.
"Ce sont les vers de terre qui les fabriquent", indique l'agriculteur en ouvrant le sol d'un bon coup de pioche qui libère plusieurs de ces hôtes roses et luisants, véritables soldats laboureurs.
"Ici c'est la nature qui fait le boulot", résume Stéphane Aissaoui, ingénieur agronome et prosélyte du "sol vivant" qui a convaincu Vincent Baron de changer de pratiques.
Pour eux, ou pour le réseau Base (Biodiversité, Agriculture, Sol et Environnement) qui fédère nombre de ces agriculteurs passionnés, "le labour, c'est Verdun": "C'est comme mettre une maison à l'envers, plus personne ne s'y retrouve" explique Vincent, converti depuis cinq saisons sur ses 250 hectares.
"Le grain à l'homme, la paille à la nature"
'outil dévaste le réseau de racines et détruit l'activité biologique des champignons, des mollusques, bactéries, insectes et larves qui constituent les meilleurs auxiliaires du cultivateur.
Le "sans labour" séduit d'ailleurs de plus en plus d'agriculteurs: plus d'un tiers des grandes parcelles céréalières en France en 2006 et 120 millions d'hectares dans le monde, selon Vincent Tardieu (auteur de "Vive l'agro-révolution française", éd. Belin). Mais ça ne suffit pas.
"Au non-travail du sol, il faut associer des rotations longues, avec un choix de cultures compagnes, des légumineuses qui assurent un apport important d'azote et surtout laisser les déchets au sol pour assurer un couvert permanent", détaille Stéphane Aissaoui qui insiste: "La seule chose qu'on impose à la nature, c'est les espèces végétales qu'on choisit. Mais pour que ça marche, il faut tout faire en même temps".
Ici, la luzerne pousse, croît et meurt entre les blés, à peine foulée au moment des semis. Là c'est une association de gesse-fenugrec-lentille au milieu des colzas.
Règle numéro un: "Le grain à l'homme, la paille à la nature", mantra de l'agronome chilien Carlos Croveto devenu le maître à penser de Vincent Baron. "Au Chili, en Argentine, ils ont de l'avance sur le sujet parce qu'ils ont des sols lessivés, ravinés par les pluies intenses. Ici, c'est insidieux, mais les sols sont appauvris par la perte de matières organiques".
Malgré les violentes pluies, sa parcelle a tout absorbé. Alors que la voisine, travaillée à l'ancienne, est encore inondée.
En plus, lui fait des "économies d'engrais, de pesticides et d'heures de tracteurs". En revanche, il passe des heures à arpenter et observer ses champs - et s'autorise encore un peu d'herbicide.
"Je doute encore parfois, mais je ne ferai jamais demi-tour". Ses rendements sont d'ailleurs largement aussi bons qu'avant. "Et de plus en plus d'agriculteurs viennent frapper à la porte pour s'informer".
"On pense souvent que le progrès vient des chercheurs, mais les agriculteurs ont un sens de l'observation étonnant", constate Dominique Soltner, agronome de l'Ecole supérieure d'agriculture d'Angers (ESA). Lui, qui se dit "persuadé que ça va se développer", adapte ses connaissances au contact de ces hommes de terrain.