Les nouvelles autorités de transition tunisiennes affrontent leur première crise diplomatique avec l'Italie, inquiète d'un exode massif de clandestins tunisiens vers ses côtes, un mois jour pour jour après la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali.
Le dossier sur l'immigration a pris un tour tel que le ministre italien des Affaires étrangères Franco Frattini est venu lundi soir pour une visite éclair à Tunis. Il a annoncé que l'Italie allait débloquer une aide d'urgence de cinq millions d'euros pour le pays. L'Italie annoncera également une ligne de crédit de 100 millions lors de la conférence internationale sur les réformes dans ce pays prévue en mars à Carthage.
Le sujet s'est aussi imposé à l'ordre du jour de la chef de la diplomatie européenne, la Britannique Catherine Ashton, lundi à Tunis pour une visite destinée au départ à apporter le soutien de l'UE aux réformes politiques et à la relance économique cruciale pour la transition.
"La Commission à Bruxelles est en contact avec la Tunisie et l'Italie pour régler ce problème de clandestins", s'est-elle bornée à dire lors d'une conférence de presse alors que l'Italie a demandé "l'intervention urgente" de l'UE.
Subitement confronté au délicat problème de l'émigration clandestine vers l'Europe, le gouvernement tunisien a prévenu lundi qu'il rejetait de manière catégorique "toute ingérence dans ses affaires intérieures" ou "atteinte à sa souveraineté".
Le ton est monté ce week-end entre Tunis et Rome après l'arrivée en cinq jours de quelque 5.000 clandestins sur l'île italienne de Lampedusa (138 km des côtes tunisiennes), pour la plupart des Tunisiens venus chercher un emploi en Europe.
Evoquant un "système tunisien à la dérive", le ministre italien de l'Intérieur, Roberto Maroni, avait souhaité dimanche un déploiement de ses policiers en Tunisie. "Inacceptable", a répondu le gouvernement tunisien même s'il s'est dit "prêt à coopérer" pour endiguer cet exode.
Lundi, les arrivées de migrants tunisiens à Lampedusa ont cessé, selon l'Organisation internationale sur les migrations (OIM).
Sur les côtes tunisiennes, à Gabes, Sfax ou Zarzis, villes du sud à fort taux de chômage d'où sont partis des centaines de jeunes, les forces de l'ordre ont renforcé leurs contrôles.
A Zarzis, l'armée patrouillait dans les rues à bord de blindés légers et était très présente au port de pêche dont elle bloquait l'accès aux non pêcheurs. "Nous faisons tout pour bloquer l'activité (des) passeurs", a déclaré à l'AFP un gradé de l'armée.
"Si c'était à refaire, je le referai sans hésitation. Il n'y a pas de place pour moi en Tunisie. La révolution tunisienne, ce n'est que du blabla, rien n'a changé et rien ne changera", a confié le rescapé d'un naufrage, Muhamed Handoula, 29 ans.
Les revendications des clandestins rappellent au gouvernement l'ampleur de la réponse sociale à apporter aux Tunisiens qui au départ de leur contestation ayant mené à la chute de l'ancien régime réclamaient du pain et la dignité d'avoir un emploi.
Tunis, qui compte sur le soutien de la communauté internationale, va organiser en mars à Carthage (banlieue de Tunis) une conférence internationale sur les réformes politiques et économiques avec l'aide de l'Union européenne, a indiqué Mme Ashton.
Cette dernière a annoncé que l'Union allait "immédiatement débloquer 17 millions d'euros pour aider le gouvernement" et que d'ici 2013 il y aurait 258 millions d'euros.
Elle a également espéré que le "statut avancé" serait prêt à être ratifié par le gouvernement issu des élections" prévues dans six mois. La Tunisie tient particulièrement à obtenir de l'UE ce statut qui ouvre la voie à un traitement douanier préférentiel.
Dans ce contexte d'attentes et d'incertitudes, les Tunisiens ont célébré lundi un mois de leur révolution. "Ben Ali est parti !" "Vive le peuple!", chantaient des Tunisois.
Le vendredi 14 janvier, après 23 ans de pouvoir sans partage, près d'un mois de contestation populaire, plus de 200 morts, le président Zine El Abidine Ben Ali, 74 ans, fuyait son pays.
Lundi, huit survivants tunisiens qui avaient tenté de rallier clandestinement l'Italie le 11 février ont accusé lundi des gardes côtes tunisiens d'avoir "délibérément foncé" sur leur embarcation, faisant 5 morts et 30 personnes portées disparues dans les eaux internationales.