Laurent Spanghero, l'aîné d'une fratrie légendaire du rugby devenu poids lourd de la filière viande, se met désormais aux lentilles et a créé une entreprise pour promouvoir les protéines végétales.
Plus de 40 ans "passés dans la viande m'ont fait comprendre qu'il n'y en aura pas assez pour tout le monde", dit le fondateur de la société qui porte son nom à Castelnaudary et qui est menacée d'être emportée par le scandale de la viande de cheval.
Des investisseurs ont sollicité son soutien pour leurs projets de reprise au moins partielle de la société audoise qu'il avait cédée en 2009 à la coopérative basque Lur Berri. Il a dit oui par obligation "morale". "Si je peux aider à sauver ne serait-ce que 30 ou 40 emplois, ça sera toujours ça de pris", dit l'ancien rugbyman, qui, à 73 ans, a toujours les mains comme des battoirs et une carrure de colosse.
"Alternative à la viande"
Mais sa principale préoccupation est à présent la protéine végétale. "Si demain on veut nourrir correctement la planète, il faut une alternative à la viande".
Avant d'en arriver à cette conclusion, l'enfant d'immigrés italiens a vécu de nombreuses vies.
Son père, Dante Ferrucio Spanghero, arrive en France pendant la grande dépression des années 1930 pour y gagner sa vie comme maçon. Victime de la gale du ciment, il s'installe comme ouvrier agricole à Bram (Aude), où il fonde avec Romea, Italienne comme lui, une famille très nombreuse de six garçons et deux filles.
"On vivait chichement, les repas étaient frugaux", raconte Laurent Spanghero de sa voix rocailleuse. Il aide son père à la ferme, joue au rugby dans le club local de Bram qu'il préside encore aujourd'hui. "J'étais l'aîné, j'ai ouvert la voie" du ballon ovale au reste de la fratrie, explique l'ancien capitaine du RC Narbonne.
"choux gras"
Des six garçons, quatre feront du rugby à un haut niveau, Walter et Claude devenant même internationaux. "On faisait tous 1,90 m et plus de 100 kilos, alors la presse en a fait ses choux gras, de la fratrie Spanghero", se souvient-il. Dans un documentaire de l'INA datant de 1966, le père explique n'avoir donné qu'un conseil à ses enfants: "ne pas donner de coups vaches, vu que je connais la force de mes fils".
Lorsqu'ils ne sont pas sur le terrain, les frères sont au travail. "A l'époque, le professionnalisme, ça n'existait pas, on jouait pour rien le week-end et on travaillait la semaine", dit Laurent Spanghero. En 1968, à 27 ans, un conflit avec son père le pousse à quitter la ferme familiale. Il se retrouve à l'abattoir de Pamiers (Ariège), où il apprend pendant trois ans "les métiers de la viande".
En 1970, il crée avec son frère Claude la fameuse entreprise de Castelnaudary aujourd'hui en liquidation judiciaire mais qui a employé jusqu'à 500 personnes. Le scandale désespère l'ancien rugbyman qui se sent particulièrement "malheureux" de voir "dilapider" les emplois.
La peur du steak
Laurent Spanghero s'était retiré dès 2005 de l'entreprise mais a continué longtemps d'exercer des fonctions syndicales dans la filière viande, présidant la Fédération patronale des industries et du commerce en gros de la viande jusqu'en 2008 et son pendant européen, l'UECBV, jusqu'en 2012. Comme gros dossier, "on a eu la crise de la vache folle", se rappelle-t-il. "C'est de là qu'est sortie la problématique de la traçabilité".
Laurent Spanghero n'est pas devenu végétarien même s'il mange "moins de viande qu'avant". "Je suis gourmand de nature et un steak de 400 grammes ne m'a jamais fait peur". Mais après avoir sillonné les cinq continents avec l'UECBV, il s'est convaincu que l'avenir est à la protéine végétale. "Il y a une montée très forte de la demande de produits végétaux", dit-il.
En janvier 2010, à Revel (Haute-Garonne), il fonde donc avec un associé Nutrinat, une société bio "encore à ses balbutiements". L'entreprise a mis au point une gamme de produits (salades, pâtes alimentaires et plats à réchauffer) particulièrement chargés en protéines végétales. Ses clients sont les magasins spécialisés bio, les structures accueillant des personnes âgées, la grande et moyenne surface...
Nutrinat emploie trois salariés, les associés ne sont pas rémunérés. Le but, c'est d'avoir assez de clients d'ici fin 2013 pour "couvrir tous les frais", dit celui qui, à l'heure bien sonnée de la retraite, ne lâche rien. "Tant que je suis en bonne santé, il n'y a aucune raison que je n'essaye pas d'améliorer la vie de chacun".