Le géant français du luxe LVMH et son patron Bernard Arnault ont bien travaillé en catimini et depuis plusieurs années à des scénarios "de prise de contrôle" d'Hermès, selon un rapport d'enquête de l'Autorité des marchés financiers (AMF) cité samedi par le journal Le Monde.
Le 31 mai, la Commission des sanctions de l'AMF doit se réunir pour examiner le dossier.
Pour les enquêteurs du gendarme boursier français, le comportement de LVMH "ne trouve son sens que dans la préparation d'une montée au capital d'Hermès", et M. Arnault et son groupe ont travaillé depuis décembre 2006 à des scénarios "de prise de contrôle", selon des extraits d'un rapport de 115 pages que le quotidien dit avoir consulté.
LVMH a pris tout le monde de surprise en octobre 2010 en annonçant détenir quelque 17% d'Hermès, une participation dans le groupe familial augmentée depuis à plus de 22%, au grand dam de la direction d'Hermès. Pour mener cet assaut, il a eu recours à l'achat de produits financiers complexes qui lui ont permis d'éviter d'avoir à déclarer progressivement des franchissements de seuil (5%, 10%, 15%...) auprès des autorités boursières.
L'enquête de l'AMF, lancée il y a plus de deux ans, vise à savoir si le géant du luxe a ainsi manqué à ses obligations.
LVMH "entend contester vigoureusement les conclusions contenues dans ce rapport, tant pour ce qui concerne la régularité de la procédure que la matérialité des faits et leur qualification juridique", a indiqué le groupe à l'AFP dans une déclaration écrite.
"La commission des sanctions, seule habilitée à en juger, ne statuera qu'après avoir examiné chacun des moyens présentés pour la défense de LVMH. Elle ne pourra alors que constater l'absence, de la part de LVMH, de tout manquement à la loi et au règlement de l'AMF", fait-il valoir.
Déplorant une fuite "illicite", LVMH souligne également que la Commission des sanctions ne devra statuer le 31 mai que sur deux griefs "de nature non pénale", "à savoir la présentation comptable des ELS (Equity linked swap, l'outil financier qui a partiellement permis à LVMH d'acquérir des titres Hermès, ndlr) Hermès et le délai d'information du marché".
L'AMF et Hermès n'étaient pas immédiatement joignables.
Mêlant secrets, noms de code (Hermès est "Mercure" et LVMH "Lithium") et finance pure et dure, le récit de la montée au capital de LVMH --effectué par le Monde sur la base de l'enquête-- remonte à plus de dix ans.
Dès 2001 et 2002, LVMH acquiert 4,9% d'Hermès, via des sociétés au Luxembourg, aux Etats-Unis puis au Panama, mais "l'annexe aux comptes consolidés ne comprend aucun élément d'information sur ces titres" placés dans d'autres rubriques "en contravention avec les normes internationales", notent les enquêteurs.
En décembre 2006, au moment où le patron historique d'Hermès Jean-Louis Dumas passe la main à cause d'une grave maladie, LVMH s'associe avec Rothschild & Compagnie et le cabinet d'avocats Bredin-Prat pour mettre en place des scénarios de "prise de contrôle d'Hermès", selon les termes du rapport.
Toujours selon le compte-rendu du Monde, un montage complexe est choisi en 2007, divisant entre trois banques des prises de participations de moins de 5% dans Hermès, via des "equity swaps", des produits dérivés permettant d'être payés à terme, soit en numéraire ou soit en actions.
Cette dernière option est finalement choisie et levée en 2010 par LVMH, qui après une dernière expertise de la banque Lazard, obtient le feu vert de ses administrateurs avant de révéler le pot-aux-roses, le 23 octobre.
Hostile à l'entrée de M. Arnault, la famille Hermès, qui détient 72% du capital de la célèbre maison aux foulards, a depuis mis en place un "rempart" via une holding bloquant 50,1% du capital. Une plainte a également été déposée en octobre dernier et une enquête confiée en février à un juge d'instruction.
Lors de l'assemblée générale de LVMH en avril, Bernard Arnault a assuré que son groupe n'avait "pas prévu d'être actionnaire de Hermès". "Nous avons fait un placement financier et il s'est dénoué d'une façon que nous n'avions pas prévue", a-t-il affirmé.
Si l'AMF décidait d'une sanction, celle-ci interviendrait durant l'été, selon Le Monde.