Englué dans un litige avec un groupe russe qu'il accuse de vouloir le déposséder avec l'appui de la justice, le géant français Sucre et Denrées se dit près de quitter la Russie où il est pourtant implanté depuis vingt ans, dénonçant la dégradation du climat des affaires.
"Pour le groupe, ce sera une décision douloureuse, c'est un pays où on est depuis vingt ans", a déclaré à l'AFP Etienne Pelletier, directeur général de Sucre et denrées (Sucden) en Russie. Mais "aujourd'hui, il n'y a plus aucune sécurité pour les investisseurs", a-t-il ajouté.
Le groupe français, qui possède trois usines et 120.000 hectares de terres en Russie, emploie près de 5.000 personnes dans ce pays et fournit des géants de l'agro-alimentaire comme Coca-Cola, Pepsico ou Nestle.
Il est aux prises depuis près de quatre ans avec une entreprise russe, Novaïa Sakharnaïa Kompania (NSK, Nouvelle compagnie sucrière).
Mercredi, un tribunal d'arbitrage a débouté Sucden d'un appel contre une décision qui le condamne à verser à NSK 2,18 milliards de roubles (53 millions d'euros), dans le cadre d'un imbroglio judiciaire au sujet d'une des usines du français, située à Lipetsk (500 km au sud de Moscou).
Les faits remontent à 2006, quand Sucden a acheté des équipements d'occasion auprès d'une petite société russe pour un montant de 14 millions d'euros, afin de moderniser cette usine.
En janvier 2008, NSK, une entreprise jusqu'alors inconnue, attaque Sucden en justice, prétendant qu'elle est la propriétaire de ces équipements et exigeant leur retour.
Puis les procédures judiciaires s'enchaînent, les montants des recours gonflent à vue d'oeil, et Sucden finit par se voir condamné par un tribunal à verser 2,18 milliards de roubles à NSK, au titre du bénéfice prétendument engrangé par Sucden grâce à l'exploitation de ces machines depuis 2006.
Entre temps, Sucden mène son enquête et découvre que derrière toutes ces procédures se dissimule Alfa Bank qui appartient au milliardaire russe Mikhaïl Fridman.
Pour M. Pelletier, toutes ces procédures cachent une seule finalité: mettre la main sur l'usine, une des plus grosses de Russie, en s'appuyant sur "certains juges très corrompus". "C'est plus facile de la voler que de l'acheter", dit-il.
Ce type de mésaventures est courant en Russie, où de nombreuses entreprises sont victimes de "raids" visant à prendre leur contrôle grâce à de faux documents, en général avec la complicité de la justice et de la police.
Désormais, Sucden n'a plus qu'un recours, s'adresser à la Cour suprême. La décision de cette dernière déterminera l'avenir de Sucden en Russie.
Mais "on peut craindre le pire", dit d'emblée M. Pelletier.
"Comment peut-on investir dans un pays comme ça?", demande-t-il, redoutant que même si le groupe accepte de payer pour régler le différend, ils soit victime d'une nouvelle attaque à l'avenir.
"La corruption a atteint un niveau tel que c'est devenu une méthode de business", déplore-t-il.
"Le départ de Sucden serait un signal au marché que n'importe quelle entreprise en Russie peut à tout moment se voir confisquer ses biens", a déclaré jeudi au quotidien Kommersant Andreï Bodine, le président de l'association des producteurs de sucre en Russie (Soyouzrossakhar).
La nouvelle serait en effet de mauvais augure alors que les autorités russes tentent, année après année, de persuader les étrangers que le climat des affaires s'améliore dans le pays pour y attirer leurs investissements.
Selon un classement réalisé par la Banque mondiale sur le climat des affaires, la Russie est en 2012 au 120e rang sur 183, entre le Cap-Vert et le Costa-Rica.