PARIS (Reuters) - Le gouvernement a donné mercredi le coup d'envoi d'une réforme du droit du travail, qui fait le pari d'un changement de culture des partenaires sociaux pour donner la primauté à la négociation collective sans remettre en cause un "socle" de garanties.
Il s'appuie sur un rapport du conseiller d'Etat Jean-Denis Combrexelle, spécialiste du droit du travail, qui préconise un élargissement du champ de la négociation sociale aux conditions de travail, de durée de travail, d'embauche et de rémunération.
Ce rapport remis mercredi au Premier ministre propose que les accords d'entreprise ou, à défaut, de branche, "s'appliquent en priorité" dans ces domaines. Il recommande de généraliser le principe d'accord majoritaire d'entreprise à compter de 2017.
Manuel Valls a dit adhérer à l'essentiel de ses 44 propositions et promis une loi avant l'été 2016.
"Notre code du travail est devenu un ensemble trop complexe, parfois même illisible (...), trop rigide, trop uniforme (...) Il faut mieux prendre en compte la diversité des situations."
"Nous devons donc laisser plus de latitude aux entreprises et aux salariés pour décider des politiques qui les concernent, plus de marges de manœuvre par rapport aux normes fixées dans le code du travail", a-t-il poursuivi. "Nous voulons élargir la place de l'accord collectif par rapport au code du travail."
Un "socle commun" est cependant nécessaire, a-t-il fait valoir. Il a ainsi exclu une remise en cause du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, que le rapport Combrexelle suggère d'ouvrir à la négociation sociale.
Outre la durée légale du travail de 35 heures par semaine, il a cité parmi les principes et droits intangibles applicables à tous les salariés, le contrat de travail à durée indéterminée (CDI), le salaire minimum (SMIC), le repos hebdomadaire et le principe de non-discrimination.
Ces garde-fous avaient été posés dès lundi par le chef de l'Etat, François Hollande, lors de sa conférence de presse.
"Ce sont des protections que la loi garantit à tous", a souligné le Premier ministre, qui a rejeté deux démarches selon lui extrêmes : une réduction draconienne du code du travail ou, au contraire, le refus d'en toucher "un mot".
CONDITIONS
L'exécutif s'efforce ainsi de naviguer entre les exigences contradictoires du patronat, des syndicats et de l'aile gauche de la majorité. Le premier, soutenu par la droite, veut réduire au maximum les contraintes des entreprises. Les seconds s'opposent à toute atteinte aux droits des salariés.
La démarche repose sur deux conditions, dont une réduction draconienne du nombre de branches professionnelles, aujourd'hui au nombre de 750 en France contre une quinzaine en Allemagne.
Le gouvernement avait annoncé en 2014 vouloir les ramener à une centaine avec une première étape en 2015 mais le Premier ministre a admis que les résultats n'étaient pas au rendez-vous.
Le rapport Combrexelle propose de fusionner en trois ans les branches représentant moins de 5.000 salariés. Sans être aussi précis, Manuel Valls s'est dit prêt à des "mesures radicales".
La deuxième condition, plus délicate encore, est un changement draconien de culture des partenaires sociaux.
Pour donner plus de poids aux accords collectifs, le rapport propose qu'ils soient signés par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés au lieu de 30% aujourd'hui. Mesure retenue par Manuel Valls, selon qui elle incitera les organisations majoritaires à "prendre leurs responsabilités".
"Ça ne marchera que si c'est accompagné d'un vrai changement de regard sur la négociation sociale", souligne son entourage. "Si ce changement de culture se fait, si notre pays entre dans une plus grande flexibilité négociée de son code du travail, ça aura des effets favorables à l'emploi, à la compétitivité mais aussi (...) aux droits effectifs des salariés."
La ministre du Travail, Myriam el Khomri, mènera une concertation avec les partenaires sociaux sur les suites du rapport d'ici la conférence sociale du 19 octobre. Seront alors dévoilées les grandes lignes de la future loi, dont l'écriture, d'ici la fin de l'année, donnera aussi lieu à concertation.
Le rapport Combrexelle propose par ailleurs de revoir sur les quatre prochaines années l'architecture du code du travail pour y distinguer ce qui relève de l'ordre public, du renvoi à la négociation collective ou de mesures supplétives.
Manuel Valls a annoncé l'intention du gouvernement d'engager rapidement ce chantier de longue haleine, dans lequel Jean-Denis Combrexelle pourrait jouer un rôle.
(Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)