Les Etats-Unis font de la sous-évaluation du yuan une affaire d'Etat, au risque de braquer Pékin et d'occulter les progrès accomplis par la Chine pour rééquilibrer la relation économique sino-américaine.
Deux journées d'auditions mercredi et jeudi au Congrès ont confirmé à quel point les élus américains se polarisent sur le taux de change chinois, qu'ils ont tendance à présenter comme le responsable de tous les maux économiques du pays.
Ils ont été encouragés par le secrétaire au Trésor Timothy Geithner, qui s'était montré jusque-là partisan du dialogue et de la diplomatie pour tenter de convaincre la Chine de laisser le yuan s'apprécier.
Pékin a décidé en juin de désarrimer sa devise du dollar et de la laisser flotter un peu plus librement.
Depuis lors, le yuan s'est apprécié de 1,5% alors que certains économistes estiment que la devise chinoise est sous-évalué de 40% par rapport au billet vert, avantageant ainsi nettement les produits chinois aux Etats-Unis (et ailleurs).
M. Geithner a accusé jeudi la Chine de "maintenir un taux de change rigide" et de retarder ainsi le rééquilibrage de l'économie mondiale auquel se sont engagés les dirigeants des pays avancés et émergents du Groupe des Vingt (G20).
Chargé d'en surveiller les progrès, le Fonds monétaire international (FMI) répète régulièrement que la sous-évaluation du yuan n'est qu'un aspect de ce chantier qui doit amener les Etats-Unis à emprunter moins et la Chine à asseoir sa croissance davantage sur sa consommation intérieure.
En juillet, le FMI conseillait à Pékin sept pistes d'action, parmi lesquelles un soutien à la consommation des ménages et un développement de la sécurité sociale. "L'appréciation du yuan" était dernier de la liste.
"Il serait contre-productif de se polariser juste sur le taux d'échange", soulignait début septembre l'économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, dans un entretien au Figaro, "c'est seulement une des pièces du puzzle".
D'autant que la Chine est "prise au piège du dollar", comme l'écrivait en mai Annick Steta, de l'université de Nancy, en France.
Toute hausse du yuan dévalorise en effet mécaniquement les centaines de milliards de dollars d'avoirs chinois libellés en obligations du Trésor américain, dont Pékin ne peut pas se débarrasser sans risque d'en faire baisser les cours.
D'où l'idée, admise par M. Geithner, que l'ajustement du yuan sera un processus très long.
Pourtant, la hausse du yuan n'entraîne pas nécessairement un renchérissement équivalent des produits chinois puisqu'elle fait baisser en amont de la production le prix des importations de matières premières et produits semi-finis en Chine.
Les autorités américaines savent tout cela. Mais à l'approche des élections législatives du 2 novembre, mal engagées pour la majorité démocrate, on n'a pas entendu M. Geithner relativiser, comme il le faisait en juin, l'idée selon laquelle la montée en puissance de la Chine se ferait surtout au détriment de l'emploi américain.
Le président de la banque centrale, Ben Bernanke, estimait déjà en juillet que "les Chinois (avaient) fait des progrès", et notait que les salaires chinois avaient commencé à augmenter, se répercutant sur le prix des produits.
C'était avant l'annonce, mi-août, d'un relèvement de plus de 20% du salaire minimum dans la grande majorité des provinces chinoises.
"Si un tel mouvement devait s’amplifier, il contribuerait à résorber le déséquilibre macroéconomique mondial qui pénalise l’ensemble de la planète", soulignait dans un article récent Gaël Giraud, de l'Ecole d'économie de Paris.