par Francesco Canepa et John O'Donnell
FRANCFORT (Reuters) - Les turbulences sur les marchés financiers et les inquiétudes suscitées par les pays émergents, Chine en tête, conduiront la Banque centrale européenne (BCE) à revoir sa politique monétaire en mars, a annoncé jeudi son président Mario Draghi, alimentant l'espoir de nouvelles mesures de soutien dans moins de deux mois.
L'euro a cédé du terrain face au dollar et les Bourses du Vieux Continent ont accentué leur progression après cette promesse, faite au cours d'une conférence de presse tenue après la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE, qui avait auparavant laissé ses taux directeurs inchangés.
La monnaie unique se traitait à 1,0840 dollar vers 14h50 GMT contre plus de 1,09 dollar en matinée. Au même moment, l'indice CAC 40 de la Bourse de Paris, qui a cédé plus de 10% en moins de trois semaines, regagnait 0,53% et l'EuroStoxx 50 0,75%.
Mario Draghi a également assuré que les taux devraient rester "à leurs niveaux actuels ou à des niveaux inférieurs pendant une période prolongée".
"Au commencement de la nouvelle année, les risques baissiers se sont encore accrus dans un contexte d'incertitude renforcée sur les perspectives de croissance des économies émergentes, sur la volatilité des marchés financiers et de matières premières et sur les risques géopolitiques", a-t-il expliqué.
"Il sera par conséquent nécessaire de revoir et éventuellement de reconsidérer l'orientation de notre politique monétaire lors de notre prochaine réunion, début mars lorsque de nouvelles projections par les équipes macroéconomiques seront disponibles."
Ces propos ont renforcé les anticipations par les marchés de mesures supplémentaires de soutien à l'issue de la prochaine réunion de politique monétaire, le 10 mars.
De nombreux analystes s'attendaient jusqu'à présent à une nouvelle réduction de 10 points de base du taux de dépôt, actuellement fixé à -0,30%, mais pas avant la réunion de juin.
En décembre, la BCE avait abaissé son taux de dépôt, pénalisant un peu plus les banques qui choisissent de déposer leurs liquidités auprès la banque centrale, et elle avait prolongé jusqu'en mars 2017 son programme d'achats de titres (principalement des emprunts d'Etat) sur les marchés.
"M. Draghi a clairement ouvert la porte à des initiatives dès la prochaine réunion en mars. Il a employé un ton préoccupé à propos de l'évolution de la situation mondiale et de son impact sur une inflation déjà anémique", a commenté Joe Manimbo, analyste senior de Western Union Business Solutions.
CONFIANCE AFFICHÉE SUR LES BANQUES
Défendant ces décisions, qui ont déçu les investisseurs, Mario Draghi a déclaré jeudi qu'elles étaient alors "tout à fait appropriées et efficaces", rappelant que la situation avait beaucoup évolué depuis, le prix du pétrole ayant chuté de 40% en un mois et demi.
Les prévisions économiques de décembre étaient fondées sur l'hypothèse d'un cours moyen du baril de 52,20 dollars cette année mais le Brent se traite actuellement sous les 28 dollars et sur les marchés à terme, même les contrats d'échéance 2022 s'échangent sous 50 dollars, signe qu'un rebond est jugé peu probable.
Mario Draghi a noté que la faiblesse des prix de l'énergie n'avait pas que des effets néfastes et qu'elle devrait soutenir la consommation et l'investissement.
La banque centrale est en fait confrontée à un dilemme: alors que la croissance reste limitée, la faiblesse des prix de l'énergie a commencé à se répercuter sur ceux des biens et des services, éloignant un peu plus l'inflation de l'objectif qu'elle s'est fixé, à savoir un taux inférieur à mais proche de 2%, au risque de compromettre la crédibilité de son action.
Mario Draghi a reconnu jeudi que les taux d'inflation devraient rester "très bas voire négatifs dans les prochains mois".
En dépit des turbulences des dernières semaines sur les marchés financiers, liées en grande partie au ralentissement de la croissance chinoise, il s'est montré relativement confiant dans la solidité des banques de la zone euro.
"Jusqu'à présent, nous avons observé qu'elles restaient assez résistantes", a-t-il dit. "Nous n'avons pas observé de risque d'instabilité comparable à celui que nous avions observé pendant la période précédant la crise."
Les cours des banques des pays dont les secteurs bancaires sont jugés les plus exposés aux créances douteuses souffrent d'un regain de défiance des investisseurs, provoqué par l'initiative de la BCE de demander à certains établissements des précisions sur leurs créances douteuses.
Ce mouvement a notamment affecté les valeurs bancaires italiennes, dont l'indice de référence a chuté de 24% depuis le début du mois. Il reprenait toutefois près de 5% jeudi après-midi.
(avec Balazs Koranyi et Frank Siebelt; Marc Angrand pour le service français, édité par Wilfrid Exbrayat)