par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Le gouvernement a repris les discussions avec une partie des partenaires sociaux sur d'éventuels aménagements de son projet de loi sur la réforme du Code du travail, qui est devenu l'objet de grandes manoeuvres sociales et politiques.
Ce texte, probable dernière grande réforme du quinquennat de François Hollande, a été salué par le Medef mais brocardé par l'ensemble des syndicats et une bonne partie de la gauche, qui y voient une atteinte aux droits des salariés.
Une partie du patronat, représentant les entreprises les plus modestes et les plus nombreuses, a joint sa voix à ce concert de critiques, annonciateur de difficultés au Parlement.
Le gouvernement semble prêt à un geste pour tenter d'amener au moins les syndicats réformistes à soutenir son projet.
"Le texte pourra évoluer au vu de nos discussions à venir et du débat parlementaire", a promis mercredi la ministre du Travail, Myriam El Khomri, lors de la présentation de son projet à la Commission nationale de la négociation collective.
Les syndicats CFTC et CFE-CE et l'Union professionnelle artisanale (UPA) disent être en contact avec son cabinet.
"Il ne faut pas se faire d'illusion", a cependant déclaré à Reuters Franck Mikula, secrétaire national de la CFE-CGC. "Pour ce qui nous concerne, ça ne donne rien. Nous ne sommes pas prêts à négocier sur la longueur de la chaîne et le poids du boulet."
La CFDT attend une réponse à ses demandes de révision du texte "en profondeur", confie sa numéro 2, Véronique Descacq. "Nous avons fait savoir que nous voulions rapidement travailler sur des contre-propositions mais, à ce stade, ce n'est pas encore organisé", a-t-elle déclaré à Reuters.
FRONT SYNDICAL FRAGILE
Ces trois syndicats ont en commun de refuser de "jeter le bébé avec l'eau du bain" mais divergent sur la prééminence donnée aux accords d'entreprise, défendue par la CFDT mais jugée dangereuse par la CFTC et la CFE-CGC.
De fait, les syndicats peinent à présenter un front commun. La réunion organisée mardi par la CGT à son siège a accouché d'un communiqué aligné sur le plus petit dénominateur commun.
Les neufs signataires demandent le retrait du plafonnement des indemnités prud'homales pour licenciement abusif et des "mesures qui accroissent le pouvoir unilatéral des employeurs".
Ils conviennent de travailler ensemble sur les autres articles contestés du texte et se donnent rendez-vous le 3 mars.
Mais ce communiqué cache mal de profondes divergences sur le fond et les actions à entreprendre.
"Tout le monde a été hier très conciliant avec la CFDT pour montrer un visage uni", souligne Franck Mikula. "Je ne suis pas sûr que cela dure au-delà du 3 mars."
Véronique Descacq admet qu'il "y a des écarts d'appréciation du texte énormes", y compris entre les syndicats réformistes.
Force ouvrière (FO), qui rejette en bloc le projet de loi et exige son retrait, a refusé de signer le communiqué commun.
La CGT plaide pour une "réaction forte et unitaire" mais "bien malin qui peut comprendre ce qu'elle veut", confie un participant. "La seule chose que l'on comprend, c'est qu'elle a besoin d'une grosse manifestation avant son congrès (en avril)."
Les dirigeants de la CGT ont évoqué la date du 31 mars pour une "journée d'action", quatre jours avant le début de l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale. Mais aucune décision n'a été prise sur cette date et sur le type d'action.
Le plus préoccupant, pour le gouvernement, est peut-être la détermination montrée par les organisations étudiante (Unef) et lycéennes (UNL et FIDL), qui participaient aussi à la réunion.
MOBILISATION DES JEUNES
"On va pousser pour une date de manifestation au mois de mars et on espère qu'on aura le maximum d'organisations syndicales professionnelles qui vont nous rejoindre", a ainsi dit à France Inter le président de l'Unef, William Martinet.
L'Unef annonce "des initiatives" le 9 mars, jour de l'examen du texte en Conseil des ministres et met en avant le précédent du contrat première embauche (CPE), retiré par le gouvernement de Dominique de Villepin en 2006 sous la pression de la rue.
Le syndicat étudiant "propose aux jeunes de fêter les 10 ans du CPE à leur façon" et annonce le lancement d'une "campagne dans les universités contre la loi El Khomri".
Ce mouvement, s'il prend, risque d'être plus difficile à arrêter et plus embarrassant pour le gouvernement. "Il y a une mayonnaise qui est en train de monter", avertit Franck Mikula.
Selon lui, la conjonction d'une mobilisation étudiante, du succès de la pétition anti-loi El Khomri lancée sur internet (plus de 450.000 signatures à ce jour) et du réquisitoire publié mercredi dans Le Monde par des figures de gauche, dont la maire de Lille, Martine Aubry, contre la politique du chef de l'Etat, peuvent amener le gouvernement à "bouger".
Pour prévenir un éventuel recul du gouvernement, le Medef tente de ressouder une unité du patronat elle-même mise à mal.
Selon L'Opinion, il voudrait faire signer par toutes les organisations patronales un appel à soutenir le projet de loi dans sa version transmise au conseil d'Etat la semaine passée.
Mais la CGPME se montre très réservée sur un projet qu'elle juge avant tout taillé pour les grandes entreprises.
L'UPA juge quant à elle inacceptables les dispositions du texte sur la représentativité des organisations patronales et la prééminence des accords d'entreprise au détriment du rôle régulateur des branches professionnelles.
"Le projet de loi El Khomri traduit un pacte entre le gouvernement et le Medef auquel il confie les clés du dialogue social", déclare l'UPA dans un communiqué co-signé par l'Union nationale des professions libérales (Unapl).
(Edité par Yves Clarisse)