par Tangi Salaün
PARIS (Reuters) - Le dossier administratif de l'agent qui a tué quatre personnes jeudi à la préfecture de police de Paris ne contenait aucun élément sur sa radicalisation, a déclaré dimanche Christophe Castaner, excluant de démissionner pour avoir déclaré à chaud que l'assaillant n'avait jamais présenté de signe d'alerte.
Interrogé sur TF1 (PA:TFFP), le ministre de l'Intérieur a pointé des "dysfonctionnements" à la préfecture de police, qui ont empêché selon lui de prendre à temps la mesure de la menace constituée par Mickaël H., un informaticien de la direction du renseignement de 45 ans, qui a été abattu par un policier après cette attaque.
Christophe Castaner a reconnu "des failles, puisque trois hommes et une femme sont morts sous les coups de l'assaillant". "S'il y a eu des fautes, il faudra les corriger. S'il y a eu des erreurs, il faudra les sanctionner", a-t-il ajouté.
Le procureur du Parquet national antiterroriste (Pnat), Jean-François Ricard, a fait état samedi de témoignages de policiers selon lesquels Mickaël H. aurait justifié les attentats de Charlie Hebdo en 2015 et d'autres exactions commises au nom de l'islam.
Christophe Castaner a déclaré que, "selon les informations qui m'ont été communiquées", ce "comportement anormal" n'avait fait l'objet d'aucun signalement administratif de la part des policiers concernés.
"Si ces faits sont confirmés, le dysfonctionnement est à ce moment-là", a insisté le ministre, selon lequel il aurait alors été possible "d'éviter le pire".
Au lieu de cela, a-t-il poursuivi, Mickaël H. avait obtenu de bonnes notes ces dernières années et "son habilitation (secret défense) a toujours été renouvelée".
FRUSTRATIONS PAR RAPPORT À SA CARRIÈRE
Le rapport de la direction du renseignement de la préfecture de police, remis samedi au ministre de l'Intérieur, confirme qu'aucun signalement n'avait été fait auprès de la hiérarchie, malgré des échanges entre des membres de son service sur une éventuelle radicalisation en 2015, éléments qui avaient, à l'époque, été portés verbalement à la "hiérarchie intermédiaire".
Le document, que Reuters a pu consulter, révèle en outre que la dernière enquête d'habilitation de l'assaillant, lui donnant l'autorisation de travailler au sein des services de renseignements, datait de 2013. La prochaine devait avoir lieu en 2020. Mickaël H. n'avait donc pas encore été soumis aux nouvelles procédures de vérification, plus poussées, mises en place en 2017.
Le tueur était uniquement connu pour violences volontaires sur son épouse, selon une plainte déposée par cette dernière en 2008, qui a été retirée par la suite. Ces agissements n'avaient pas été considérés comme étant suffisants pour motiver une retrait ou non-renouvellement d'habilitation, peut-on lire.
Le rapport révèle également que Mickaël H., malentendant, semblait nourrir des frustrations face à son handicap qui s'alourdissait et au sentiment de ne pas progresser dans sa carrière. Il avait bénéficié d'une formation adaptée mais n'avait pas obtenu satisfaction sur l'ensemble de ses demandes.
Revenant sur la facilité avec laquelle le tueur a pu entrer à la préfecture avec deux couteaux, Christophe Castaner a par ailleurs souligné que les policiers ne passent pas toujours sous les portiques de sécurité et ne sont pas systématiquement fouillés. "Cela doit peut-être changer", a-t-il dit.
Interrogé sur les appels de responsables de l'opposition à sa démission, Christophe Castaner a estimé que cette question "ne se pose pas" puisqu'il n'a fait que répercuter les éléments qui lui avaient été transmis par la hiérarchie policière "sans fermer aucune piste".
COMMISSION D'ENQUÊTE OU AUDITION?
Sous le feu des critiques depuis la conférence de presse du procureur du parquet antiterroriste, qui a pointé samedi des signes de radicalisation et la préméditation de l'attaque, le ministre de l'Intérieur a reçu le soutien du Premier ministre Edouard Philippe.
"J'ai toute confiance en Christophe Castaner, qui a fait état de ce qu'il savait au moment où il s'est exprimé. Il est dans le rôle qui est celui du ministre de l'Intérieur dans de telles circonstances", a-t-il déclaré dans une interview accordée au Journal du Dimanche.
Nathalie Loiseau, tête de liste de la majorité aux élections européennes, a également pris sa défense dimanche. "Il a dit ce qu'il savait au moment où il le savait", a-t-elle déclaré lors de l'émission Question politique sur France Inter.
En revanche, si la radicalisation était connue et s'il s'avérait que les autorités compétentes n'avaient pas été alertées, "il y aurait un énorme sujet", a-t-elle reconnu, invitant à attendre les conclusions de l'enquête en cours.
Pour faire toute la lumière sur cette affaire, Edouard Philippe a annoncé samedi deux missions de réévaluation des procédures de détection des signes de radicalisation chez les agents du renseignement.
Cette initiative n'a pas satisfait l'opposition, dont certains élus réclament la démission de Christophe Castaner - il a "menti délibérément aux Français", a affirmé dimanche la députée Les Républicains (LR) Nadine Morano - mais aussi la convocation d'une commission d'enquête parlementaire.
Une demande en ce sens devrait être formellement déposée mardi par Christian Jacob, président du groupe LR à l'Assemblée nationale.
Quant à la délégation parlementaire au renseignement, commune au Sénat et à l'Assemblée nationale, elle a souhaité auditionner Christophe Castaner pour "faire la lumière sur d'éventuels dysfonctionnements au sein du service de renseignement" dans lequel travaillait Mickaël H.
Cette audition aura lieu mardi et se déroulera à huis clos, a déclaré Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des Lois de l'Assemblée et membre de la délégation au renseignement, sur France Info.
L'épouse du tueur a été remise en liberté dimanche soir, après une garde à vue de plus de 70 heures, a-t-on appris de source judiciaire.
(Avec la contribution de Caroline Pailliez, rédaction de Paris, édité par Jean-Michel Belot)