Des milliers de chauffeurs salariés de transporteurs exerçant sous le statut Loti vont se retrouver sur le carreau en 2018 faute d'avoir obtenu leur carte de VTC, une "boucherie" annoncée qui masque des responsabilités partagées.
Les Loti doivent en théorie se limiter au transport collectif sur réservation. Mais ces sociétés se sont engouffrées sur le marché des VTC et taxis et ont embauché des milliers de salariés, qui constituent la majorité des chauffeurs utilisateurs des plateformes type Uber.
La loi Grandguillaume, votée fin décembre 2016, les a exclus des grandes villes, leur laissant un an pour devenir VTC soit en passant le nouvel examen commun avec les taxis, soit par équivalence pour ceux justifiant d'un an d'expérience. Jusqu'à présent, ils peuvent exercer avec un simple permis.
Or, à un mois et demi de l'échéance, des centaines de chauffeurs ont échoué et des milliers d'autres n'ont pas entamé les démarches car "c'est un vrai parcours du combattant, ils sont démoralisés", explique Charles Nahmias, de l'association AMT, qui regroupe des exploitants et salariés.
En octobre, seuls 47% des chauffeurs Loti utilisant Uber sans carte de VTC déclaraient des démarches en cours, 39% comptaient le faire "prochainement" et 5% avaient abandonné, selon un sondage Ipsos (PA:ISOS) pour Uber.
Ils invoquent le manque de temps, le coût et la complexité de la procédure. Certains disent avoir mal compris la loi ou ne pas s'être sentis concerné.
D'après une estimation du cabinet BCG pour Uber, moins de 1.700 Loti auront obtenu d'ici fin décembre l'examen ou l'équivalence, et 14.000 resteraient sur la touche.
Le répit de trois mois accordé vendredi par le gouvernement aux chauffeurs qui auront engagé les démarches d'ici la fin d'année ne renversera pas la situation.
- 'Catastrophe sociale' -
"Tout le monde ne pourra pas engager les démarches, cela va être une catastrophe sociale", dénonce Charles Nahmias, parlant de "plan social créé par le gouvernement".
Le retard des examens, démarrés en mai, n'explique pas tout: les sessions à venir ne sont pas pleines. Leur "difficulté" découragerait nombre de candidats, dont une grande partie n'a pas le bac (40% des chauffeurs Uber).
"Sans une bonne préparation, c'est voué à l'échec", estime Helmi Mamlouk (FO Capa VTC), favorable comme tous les syndicats à ce durcissement des règles d'entrée pour en finir avec la "concurrence déloyale" des Loti.
Mais "on amène les gens à l'abattoir", "c'est une boucherie", dénoncent la CFDT VTC-Loti et AMT.
Aux épreuves, organisées par les chambres des métiers et de l'artisanat, le taux de réussite varie de 10% à 20%, selon les plateformes.
Recalée en septembre, Céline (prénom modifié) est sous le choc car elle pensait "avoir réussi". "Il y a un problème quelque part. On devrait avoir un examinateur neutre, pas la chambre des taxis", estime l'ex-commerciale titulaire d'une licence en droit, arrivée "par hasard" sur le marché des VTC après un licenciement.
Gérante de sa société Loti depuis octobre 2016, elle attend d'avoir une année comptable complète pour monter un dossier d'équivalence.
Une procédure qui n'est pas non plus une formalité: certains se font recaler ou ne peuvent déposer de dossier car ils ont été "sous-déclarés" ou "pas déclarés du tout", soulèvent des syndicats. "Ils ont été exploités et trompés. Maintenant ils vont se retrouver au chômage, c'est la double peine pour eux", s'indigne Fabian Tosolini (CFDT).
M. Nahmias, de l'AMT, botte en touche: "je ne suis pas derrière tous les patrons", et assure que "80% des problèmes seraient réglés si le gouvernement acceptait les relevés d'heures de connexion" plutôt que les feuilles de paie.
Enfin, l'obligation de fournir un casier judiciaire B2 vierge "bloque beaucoup de chauffeurs", selon M. Mamlouk.
Face à cette situation, Uber affirme avoir "communiqué depuis des mois" auprès de ses chauffeurs et déployé "des moyens considérables", dont 2 millions d'euros pour aider 5.000 d'entre eux à passer l'examen.
Uber dit "espérer que les acteurs publics trouveront rapidement des solutions concrètes", sinon "il y aura beaucoup moins de chauffeurs".
Reçus lundi au ministère, plusieurs syndicats de VTC ont menacé de "blocages" pendant la période des fêtes si le gouvernement ne revenait pas sur le délai accordé.