Après des années de croissance débridée et le coup de frein de la crise mondiale, l'avenir de l'économie turque s'annonce perturbé en 2014, sous la pression des marchés mondiaux et d'un niveau de déficit et de dette inquiétant en année électorale.
La Turquie a enregistré récemment des performances économiques spectaculaires, qui ont hissé ce pays de 75 millions d'habitants dans le peloton de tête des puissances émergentes.
C'était le temps où, fier de ses taux de croissance de plus de 8% en 2010 et 2011, le Premier ministre islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis onze ans, vantait aux investisseurs le "havre de stabilité" turc.
Mais la crise mondiale a sonné le glas de ces années "chinoises". Après les 2,2% enregistrés en 2012, le gouvernement table sur une progression de "seulement" 3,6% de son produit intérieur brut (PIB) cette année et n'anticipe pas plus de 4% pour 2014.
"L'économie turque est devenue très vulnérable à cause du climat international. Et je pense que la politique restrictive de la Fed et les incertitudes qui en découlent vont augmenter sa vulnérabilité", estime Deniz Cicek, économiste à la Finansbank d'Istanbul.
Comme celles de l'Inde ou du Brésil, la monnaie turque a dégringolé l'été dernier à cause de la fin annoncée de la politique monétaire accommodante de la Banque centrale américaine (Fed) qui a fait fuir les investisseurs étrangers des économies émergentes.
La livre turque (TL) a reculé de 13% cette année et s'échange désormais à un peu plus de 2 TL pour 1 dollar ou 2,75 TL pour un euro.
Pressée par le gouvernement de maintenir des taux d'intérêt suffisamment faibles pour ne pas contrarier la croissance, la banque centrale peine à enrayer cette chute.
Deux agences de notation, Moody's et Standard and Poor's, ont également mis en garde contre le risque de dérapage des déficits courants et de la dette extérieure du pays.
Les analystes estiment à plus de 7% du PIB le déficit public turc et anticipent une poursuite de sa hausse l'an prochain, dans un climat de forte volatilité des capitaux étrangers. Moody's a souligné ce mois-ci un risque pour le financement à moyen-terme de l'économie turque, même s'il a jugé "suffisants" les outils à sa disposition pour l'amortir.
Climat politique
En novembre, le Fonds monétaire international (FMI) a lui aussi conseillé à Ankara de "resserrer sa politique macroéconomique et de lancer des réformes structurelles" pour réduire l'inflation et maîtriser ses déficits.
Le gouvernement a ainsi annoncé des restrictions à l'utilisation des cartes de crédit mais l'inflation reste à un niveau élevé. Elle devrait encore atteindre 7% en 2013, pour une fourchette estimée pour 2014 entre 6,8 et 5,3%.
Et, aux yeux des analystes, le long tunnel électoral dans lequel le pays s'apprête à entrer, avec des municipales en mars prochain, la présidentielle en août 2014 et les législatives en 2015, va encore renforcer ces incertitudes.
"Ces scrutins sont un point d'interrogation mais leur impact sera limité si et seulement si les dépenses publiques n'enflent pas de façon incontrôlée", prévient M. Cicek.
"Jusque-là, le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP) a fait preuve d'une mesure étonnante dans sa politique fiscale", se réjouit Andy Birch, économiste chez l'analyste américain IHS Global Insight.
"Mais le risque persiste, en cas de dissensions au sein de l'AKP, de voir le gouvernement se détourner de la gestion de l'économie pour se focaliser sur les luttes politiques", ajoute M. Birch en référence au débat sur la suppression des écoles de soutien privées qui déchire actuellement le camp majoritaire.
Le ministre des Finances Mehmet Simsek a balayé cette tentation d'un revers de main en promettant que le déficit budgétaire serait ramené l'an prochain à 1,2% du PIB. "Nous n'avons pas préparé le budget avec un oeil sur les élections", a-t-il assuré.
N'empêche. Certains analystes restent inquiets. Comme Gareth Leather, de Capital Economics à Londres, qui a rangé la Turquie dans le club des "Cinq fragiles" aux côtés du Brésil, de l'Inde, de l'Indonésie et de l'Afrique du Sud.
"Le gouvernement va probablement laisser passer les élections législatives de 2015 avant, au plus tôt, de s'attaquer aux décisions difficiles", pronostique M. Leather.