par Ayla Jean Yackley et Tom Perry
SURUC Turquie (Reuters) - Les combattants kurdes qui défendent la ville de Kobani (Aïn al Arab), assiégée depuis plus de deux semaines par l'Etat islamique (EI) dans le nord de la Syrie, près de la frontière turque, ont lancé vendredi un appel à l'aide alors que les djihadistes appuyés par des chars et de l'artillerie resserrent leur étau autour d'eux.
La Turquie a annoncé qu'elle ferait tout son possible pour empêcher la chute de la ville mais a semblé exclure une intervention militaire directe.
Esmat al Cheikh, commandant des forces kurdes qui défendent Kobani, a déclaré vendredi que les djihadistes se trouvaient désormais à moins d'un kilomètre de la ville.
"Nous nous retrouvons assiégés dans une zone de plus en plus réduite. Nous ne recevons plus de renforts et la frontière est fermée", a-t-il déclaré par téléphone à Reuters. En cas de victoire de l'EI, a-t-il ajouté, "il faut s'attendre à un massacre général".
La coalition internationale conduite par les Etats-Unis a mené cette semaine des raids aériens contre les djihadistes près de Kobani sans parvenir à enrayer leur avance.
Vendredi, deux grands panaches de fumée s'élevaient à l'est de la ville et l'EI poursuivait son pilonnage de la localité, abandonnée par la plupart de ses habitants qui se sont réfugiés en Turquie.
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), une ONG proche de l'opposition syrienne basée en Angleterre et qui compte de nombreux informateurs sur le terrain, une soixantaine d'obus sont tombés sur Kobani et de violents combats sont signalés à l'est et au sud-est de la ville.
EXODE
Les combattants kurdes de l'YPG, pendant syrien du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie, tentent de repousser les assauts des islamistes alors que la population civile poursuit son exode vers la Turquie, qualifié à Genève de "drame humanitaire" par le Haut Commissaire de l'Onu pour les réfugiés, Antonio Guterres.
Environ 160.000 personnes ont fui la région de Kobani depuis deux semaines.
Le Parlement turc a autorisé jeudi soir l'armée à intervenir si nécessaire en Syrie et en Irak contre les "groupes terroristes" mais Ankara entend toujours obtenir le départ du président syrien Bachar al Assad.
Le gouvernement de Damas est évidemment renforcé par les frappes de la coalition internationale contre l'EI dans l'Est car il peut ainsi intensifier ses opérations contre les insurgés dans l'ouest, le centre et le nord de la Syrie.
L'armée de Bachar al Assad s'est emparée vendredi de trois villages au nord d'Alep proches de la dernière grande voie d'approvisionnement des rebelles dans cette ville du nord-ouest du pays.
La Turquie veut l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne dans le nord de la Syrie afin de ne pas trop renforcer le gouvernement syrien. "S'il n'y a pas de zone d'exclusion, les bases de l'EI seront bombardées et le régime d'Assad, qui a commis tant de massacres, va prendre son temps et bombarder Alep", a dit le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu.
SPIRALE GUERRIÈRE
"Nous ne voulons pas que Kobani tombe. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour empêcher que cela se produise", a-t-il poursuivi, en semblant toutefois exclure une intervention militaire directe afin de ne pas être entraîné dans une spirale guerrière.
"Certains disent : 'Pourquoi ne protégez-vous pas les Kurdes de Kobani ?' Si les forces armées turques entrent à Kobani et si ensuite les Turkmènes de Yayladag demandent 'Pourquoi ne nous sauvez-vous pas ?', nous devrons y aller aussi", a dit le Premier ministre en évoquant une autre minorité ethnique présente à la frontière syro-turque.
"Quand les habitants arabes en face de (la ville frontalière turque de) Reyhanli diront 'pourquoi ne nous sauvez-vous pas non plus ?', nous devrons aussi y aller", a-t-il expliqué.
La Turquie ne veut pas non plus renforcer les combattants kurdes du PKK qui ont mené pendant des années une sanglante guérilla contre le gouvernement d'Ankara.
Abdullah Öcalan, chef du PKK emprisonné depuis 1999 en Turquie, a averti que les négociations de paix en cours depuis plusieurs mois entre les Kurdes et le gouvernement turc pourraient être rompues si l'EI prenait Kobani et massacrait ses défenseurs.
Pour Ahmet Davutoglu, on ne peut pas lier la bataille de Kobani et les discussions de paix en Turquie. "Si Kobani tombe, ce ne sera pas de la faute de la Turquie", a-t-il souligné.
A Atmanek, à la frontière entre la Turquie et la Syrie, un groupe de Kurdes turcs a été empêché par l'armée turque de rejoindre Kobani pour prêter main forte aux assiégés.
"Les Turcs veulent laisser Kobani tomber aux mains des islamistes afin de briser la volonté des Kurdes et affaiblir le PKK", dit Mehmet Guven, 45 ans, qui dénonce le "jeu trouble" d'Ankara.
(Guy Kerivel pour le service français)