par Brian Homewood
GENEVE (Reuters) - L'Agence mondiale antidopage (Ama) a recommandé lundi la suspension de la Fédération russe d'athlétisme qu'elle accuse d'avoir contourné les règles en matière de dopage, des accusations rejetées par la Russie.
Le président de la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) a donné à la Fédération russe jusqu'à la fin de la semaine pour répondre à ces allégations. "Le Conseil (directeur de l'IAAF) prendra alors sa décision", a dit Sebastian Coe devant la presse.
Au terme de plusieurs mois d'enquête, une commission indépendante de l'Ama a identifié ce qu'elle a qualifié de défaillances systémiques au sein de l'IAAF et de la Fédération russe qui ont "empêché ou réduit la portée d'un programme antidopage efficace".
Dans son rapport long de 323 pages, cette commission déplore "une culture de la tricherie profondément enracinée" dans l'athlétisme russe.
Ces allégations ont été jugées "sans fondement" par le directeur exécutif de l'agence russe antidopage (Rusada), Nikita Kamaev. Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov s'en est tenu aux démentis déjà exprimés par Moscou à ce sujet.
Le ministre russe des Sports, Vitali Moutko, a quant à lui accusé l'Ama d'avoir ordonné la destruction de tests antidopage effectués par des athlètes russes, rapporte l'agence Interfax.
"Pour 2016, nous recommandons que la Fédération russe soit suspendue, à vrai dire, nous espérons qu'ils (les Russes) se retireront volontairement afin de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les athlètes russes puissent concourir dans un cadre nouveau", a déclaré Dick Pound, président de l'Ama.
L'ancien président de la Fédération internationale d'athlétisme, le Sénégalais Lamine Diack, et son conseiller juridique Habib Cissé ont été mis en examen la semaine dernière à Paris dans une affaire de corruption.
L'UNE DES NATIONS LES PLUS MÉDAILLÉES
Mise à exécution, une suspension de la Fédération russe serait spectaculaire, la Russie étant l'une des nations les plus médaillées en athlétisme. Elle est arrivée deuxième derrière les Etats-Unis lors des Jeux olympiques de Londres en 2012, avec 17 médailles dont huit médailles d'or.
Cette hypothèse d'une suspension a cependant été rejetée par l'actuel dirigeant de la Fédération russe d'athlétisme qui a souligné qu'il ne s'agissait que d'une recommandation de la part de l'Ama. Seule l'IAAF a ce pouvoir, a déclaré Vadim Zelitchenok.
Le président de l'IAAF, le Britannique Sebastian Coe, a dit lundi que l'organisation consulterait les membres de son Conseil directeur pour évoquer cette question.
"Les informations du rapport de la commission indépendante de l'Ama sont alarmantes. Il nous faudra du temps pour les digérer et intégrer l'ensemble des détails qu'il comprend", a-t-il dit dans un communiqué.
"J'ai toutefois demandé au Conseil de l'IAAF d'enclencher la procédure d'examen d'éventuelles sanctions contre l'Araf (Fédération russe d'athlétisme)", a-t-il poursuivi.
Le rapport de l'Ama survient après la publication d'articles de presse faisant état de chantage et d'extorsions de fonds visant des sportifs en échange du silence des institutions en cas de contrôle antidopage positif.
Selon le site français Mediapart, des responsables de la Fédération internationale d'athlétisme ont essayé de soutirer de l'argent à des sportifs de premier plan, parmi lesquels une championne olympique turque, en échange de leur silence sur le fait qu'ils avaient échoué à des tests antidopage.
"MODIFICATIONS SIGNIFICATIVES" DES RÉSULTATS
Ce scandale est susceptible d'éclipser par son ampleur les pratiques de corruption révélées au sein de la Fédération internationale de football (FIFA).
Si les pratiques douteuses dont on a récemment accusé certains responsables de la FIFA ne semblent pas avoir affecté la sincérité des résultats, les accusations portées contre des responsables de l'IAAF et de la Fédération russe ont une échelle bien différente.
"Nous avons potentiellement affaire à un groupe d'hommes qui se sont mis de grosses sommes d'argent dans les poches en pratiquant l'extorsion ou en réclamant des pots-de-vin, mais qui ont aussi provoqué des modifications significatives aux résultats réels et aux classements des compétitions internationales", a déclaré un des coauteurs du rapport, Richard McLaren, un professeur de droit canadien.
Lamine Diack est soupçonné d'avoir reçu en 2011 un peu plus d'un million d'euros de pots-de-vin pour taire les résultats positifs d'athlètes russes dopés, a-t-on appris la semaine dernière de source judiciaire française.
L'organisation internationale de police Interpol a annoncé lundi qu'elle allait coordonner l'enquête mondiale sur cette affaire de corruption présumée liée au dopage et pilotée par la France.
Lundi, le comité d'éthique du Comité international olympique (CIO) a recommandé la suspension à titre conservatoire de Lamine Diack de sa fonction de membre honoraire du CIO.
(Brian Homewood à Genève, avec Karolos Grohmann,; Benoit Van Overstraeten, Nicolas Delame et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)