A l'instar de son collègue plombier, c'est aujourd'hui le routier polonais, qui roule en France aux conditions sociales et salariales de son pays d'origine, qui, selon les fédérations patronales, met en péril les PME françaises de transport routier.
"On voit s'affronter des économies de pays européens différents, avec des modèles sociaux différents", souligne Aline Mesples, présidente de l'OTRE - l'une des fédérations du secteur - pour qui il faut "réformer le modèle social, le faire évoluer, mais surtout le préserver".
Pour cette fédération, le "véritable et principal problème social du transport routier de marchandises en France" est "la concurrence déloyale et le dumping social", contre lesquelles la lutte "doit être prioritaire dans le but de maintenir les emplois français".
Le cabotage est autorisé depuis 2009, et permet à un transporteur européen de livrer des marchandises dans un autre pays, dès lors que ces trajets, strictement limités, se font en prolongement d'une livraison nationale.
Un chauffeur routier de l'est de l'Europe coûte plus de deux fois moins cher qu'un conducteur français, ce qui permet aux entreprises de ces pays de proposer à leurs clients des tarifs jusqu'à 50% moins élevés. En effet, en Pologne, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, mais aussi au Portugal, les transporteurs routiers rémunèrent largement leurs salariés en frais de déplacement et autres éléments non soumis aux cotisations, atteignant des montants parfois supérieurs au salaire brut.
L'Allemagne, qui a introduit le 1er janvier dernier un salaire minimum de 8,5 euros de l'heure, a décidé d'obliger les transporteurs routiers à appliquer ce salaire à leurs employés circulant en Allemagne, y compris en transit.
- Le conducteur, 35% du coût -
Les fédérations patronales françaises pestent également contre une spécificité hexagonale: le temps de disponibilité doit, en France, être comptabilisé dans le temps de travail hebdomadaire. Ailleurs, ces moments passés à attendre un ferry par exemple, sont payés, mais viennent s'ajouter aux 38 ou 40 heures de travail hebdomadaire.
Ainsi, les transporteurs français n'ont aucun intérêt, contrairement à leurs voisins européens, à envoyer deux conducteurs dans un camion, pour que l'un dorme pendant que l'autre conduit, car ces heures de sommeil comptent dans le temps de travail du conducteur français.
Dans le cadre des négociations entre patronat et syndicats du secteur, l'OTRE ainsi demandé que "la définition des temps de travail des conducteurs soit mise à l'ordre du jour".
En avril dernier, lors d'une conférence européenne consacrée à l'harmonisation des conditions sociales dans le transport routier de marchandises, la FNTR, principale organisation du secteur, avait expliqué dans un communiqué que les chefs d'entreprises du secteur "entendent simplement pouvoir se battre avec les mêmes armes que leurs concurrents européens".
Le conducteur représente 35% du coût d'un transport de marchandises, et "le déficit de compétitivité, on l'a également avec nos voisins proches", souligne encore Yves Fargues, président de TLF.
- Un mois d'affilée dans le camion -
Lors de ses voeux le 15 janvier, le secrétaire d'Etat français aux Transports Alain Vidalies avait souligné que "le secteur des transports est l'un des plus touchés par le phénomène de dumping social", pointant du doigt des "abus contre lesquels il faut lutter, et (qui) constituent de fait le socle d'une concurrence déloyale dans les pays les plus socialement avancés".
La "lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale" figure parmi ses priorités pour 2015. Il a dénoncé "des réalités humaines dégradantes", comme "des chauffeurs routiers, qui dorment un mois d'affilée dans leur cabine".
Lors de la conférence organisée en avril, son ministère de tutelle, celui du Développement durable, avait fait état d'"entreprises de transport routier (qui) appliquent frauduleusement à des conducteurs les normes de rémunération en vigueur dans l'État où est établi son employeur, et "d'autres pratiques abusives contournant les règles du détachement (qui) aboutissent à des situations de concurrence déloyale".
Le transport routier de marchandises comptait en France plus de 350.000 emplois en 2011, selon l'Insee.