PARIS (Reuters) - Les syndicats opposés à la réforme du Code du Travail ont revendiqué jeudi un regain d'affluence pour leur sixième journée de manifestations, après l'étiolement constaté la semaine dernière au bout de deux mois de contestation.
Soulignant "l'essoufflement" des manifestations, le Premier ministre Manuel Valls a appelé les organisations à "prendre leurs responsabilités" dans un climat de violence, en raison de l'infiltration systématique de "casseurs" dans les cortèges.
Mais pour les sept syndicats (CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL et FIDL) qui devaient se retrouver jeudi soir pour décider de la suite du mouvement, "le match n'est pas fini".
La CGT affirme que 400.000 personnes ont manifesté jeudi en France, soit le double de mardi dernier, et le ministère de l'Intérieur en a dénombré 129.000, contre 68.000 mardi.
La CGT a jugé le Premier ministre "irresponsable" de "parier sur le pourrissement d'un mouvement", en l'accusant "d'entretenir un climat anxiogène".
Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, a répondu à Manuel Valls qu'il "n'y aurait plus de manifestations, ni de violences" dans le pays s'il acceptait de retirer les dispositions "les plus dangereuses" du projet.
FO proposera toutefois devant l'intersyndicale un changement de stratégie avec une manifestation nationale et une journée de grève interprofessionnelle en juin, au lieu de journées d'actions à répétition, indique sa commission exécutive.
A Paris, plusieurs milliers de personnes ont défilé derrière un cordon de CRS qui ouvrait la marche pour éviter que des casseurs ne s'en prennent au service d'ordre syndical.
La CGT a revendiqué 100.000 manifestants dans la capitale, soit près de deux fois plus que mardi dernier, alors que la police évalue leur nombre entre 13.000 et 14.000. Pendant le défilé, un policier a été légèrement blessé, et les forces de l'ordre ont répliqué aux "casseurs" avec des gaz lacrymogènes.
Des débordements ont de nouveau eu lieu en province et dix policiers et gendarmes y ont été blessés. A Tours, Grenoble ou Rennes, les manifestants ont fait irruption sur les voies des gares, interrompant le trafic ferroviaire. A Rouen, des distributeurs de billets ont été dégradés.
Au moins 115 personnes ont été interpellées dans tout le pays, dont 66 à Nantes où le rassemblement était interdit et 21 à Paris, a fait savoir le ministère de l'Intérieur.
Cela porte à 1.464 personnes - dont près de 800 en région parisienne - le nombre de personnes arrêtées depuis le début du mouvement contre la loi Travail, il y a deux mois.
Parmi elles, 935 personnes ont été placées en garde à vue depuis le début des manifestations, précise le ministère. Mais "l'écrasante majorité" des 171 cortèges ont défilé jeudi dans de bonnes conditions, assure-t-il.
FAIBLE PARTICIPATION AUX GRÈVES
A Marseille, les organisateurs ont affirmé que 90.000 personnes avaient manifesté, mais la police n'en a compté que 3.500, un écart d'estimations inédit.
A Toulouse, entre 4.000 et 16.000 personnes selon les sources, ont défilé au son du slogan "Ni amendable, ni négociable, retrait de la loi Travail", une mobilisation supérieure à celle du début de la semaine.
Depuis que la loi El Khomri a été adoptée sans vote la semaine dernière en première lecture après le recours à l'article 49.3 de la Constitution, des cheminots, routiers, dockers et contrôleurs aériens ont rejoint le mouvement.
Mais les taux de participation aux grèves restent faibles alors que les dernières manifestations mardi n'avaient réuni que 68.000 personnes dans toute la France, selon la police, loin des 390.000 du 31 mars, au plus fort du mouvement.
A la SNCF, qui dénombrait jeudi 13,8% de grévistes, 50% des liaisons TER et 40% des Intercités étaient assurées, ainsi que deux TGV sur trois. En Ile-de-France, trois RER sur quatre et six Transilien sur dix circulaient.
Des dockers ont bloqué le dépôt pétrolier de la Rochelle (Charente-Maritime) tandis que le blocus de la raffinerie de Donges (Loire-Atlantique) entamé mercredi se poursuivait.
Dans l'aérien, seuls 15% des vols ont été annulés au départ d'Orly, selon la Direction générale de l'aviation civile (DGAC).
Les routiers ont de nouveau mené des blocages en province, notamment des barrages filtrants dans la zone de Fos-sur-Mer et de Lavéra (Bouches-du-Rhône) ou en Gironde.
Le ministère de l'Intérieur a dénombré 73 barrages routiers, a indiqué son porte-parole.
"Nous ne pouvons tolérer ces barrages", a dit Manuel Valls qui a accusé la CGT et FO d'"attiser les inquiétudes" avec des "contre-vérités" sur la rémunération des heures supplémentaires.
Mais le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a maintenu sa revendication d'un retrait du projet de loi.
"Il faut que cette colère soit entendue par le président de la République qui a une posture de fermeté. Il faut absolument que les salariés continuent à protester", a-t-il dit sur RFI.
(Sophie Louet et Gérard Bon, avec service France, édité par Yves Clarisse)