Dix ans sans voir la lumière du jour, dans le sous-sol humide... d'un coquet pavillon, dont le loyer engloutit les deux tiers des revenus de Monsieur V., 62 ans. Lutter contre la division des logements qui gangrène les banlieues populaires, est devenu une urgence.
C'est une meulière des années 1930 à la pelouse bien entretenue, dans le Val d'Oise, divisée par son propriétaire en trois logements indépendants. Il loue ainsi depuis 10 ans une cave de 47 m2, sombre et sans aération, à M. V. pour 722 euros mensuels.
"J'ai emménagé là en urgence, après le décès de mon amie, ça avait l'air propre, juste un peu bas de plafond. Je travaillais 15 heures par jour, je rentrais juste dormir", dit-il à l'AFP. Puis "en hiver, des moisissures sont apparues sur les murs, le parquet, les livres, les vêtements".
De surcroît, le logement jouxte une chaudière et la circulation de gaz pourrait intoxiquer le locataire, qui souffre de névralgies au réveil.
Après avoir réalisé des travaux sommaires, le bailleur exige 5.000 euros d'un imaginaire "rattrapage de loyers". "Il m'a dit +Et si tu n'es pas content, tu te barres+", rapporte M. V., très ému.
Déclaré "insalubre" par l'Agence régionale de santé (ARS) car présentant un danger "pour la santé ou la sécurité" des occupants, ce logement doit faire l'objet d'un arrêté préfectoral: le loyer cessera d'être dû et le bailleur encourt des poursuites pénales.
Cependant, la procédure est longue, et l'avocate de M. V., Me Ludivine Lubaki préfère plaider au civil, afin d'obtenir des dommages et intérêts et le remboursement des loyers.
"Mais on dépasse rarement les 10.000 euros de remboursement, et les bailleurs multiplient les recours pour ne rien payer. C'est à la fois le contentieux des pauvres, et le contentieux pauvre de la justice, car les magistrats sont frileux", indique à l'AFP Me Lubaki.
Aussi, "très peu de gens agissent judiciairement: ils ont peur d'être mis dehors du jour au lendemain", rapporte Edith Vilemont, bénévole de l'association Droit au logement (Dal).
- Risques d'incendie-
Des dispositions de la loi Alur du 23 mars 2014 portée par l'ex-ministre du Logement Cécile Duflot, visent à renforcer la lutte contre ces locations indignes ou insalubres.
De plus en plus souvent issues de divisions pavillonnaires, elles accroissent le mal-logement en Seine-St-Denis ou dans la métropole lilloise - où Roubaix, Tourcoing, Armentières, Loos, Ronchin sont très touchées - avec des risques pour la sécurité des locataires.
Divisés sans création de nouveaux compteurs électriques, ces logements présentent un fort risque d'incendie, constatait en 2012 l'Agence de développement et d'urbanisme de Lille Métropole.
Désormais, un propriétaire souhaitant réaliser des travaux conduisant à créer des logements dans un immeuble existant, au sein d'une zone où l'habitat dégradé est important ou "susceptible de se développer", doit solliciter une autorisation.
Il doit aussi obtenir un "permis de louer" auprès de sa commune ou son intercommunalité avant une nouvelle mise en location dans une zone à l'habitat dégradé.
A la fois préventifs et coercitifs, ces nouveaux outils vont "permettre d'éviter la récidive et d'obliger les propriétaires à faire des travaux", dit à l'AFP la ministre du Logement Emmanuelle Cosse. "Les collectivités ont là des moyens pour mettre hors d'état de nuire ces personnes".
- 'Non-logement' et paupérisation -
La division pavillonnaire apparaît là "où l'on trouve une forte demande de logements, une population modeste, une insuffisance de logements sociaux et des biens immobiliers vieillissants, abordables parce que de faible qualité, qui permettent de dégager une très forte rentabilité", résume pour l'AFP Anne-Katrin Le Doeuff, consultante spécialiste des politiques de l'habitat à l'agence Espacité.
"Contre ce phénomène qui s'étend depuis une dizaine d'années, les communes sont assez démunies". Elles ne peuvent anticiper une densification de la population qui fait grimper les besoins en stationnement, en écoles, sans construction de logements ni hausse des recettes fiscales.
Diverses formes d'habitat précaire - des garages, caves, greniers, utilisés comme des résidences principales - se sont ainsi développées "aux marges de l'hébergement et du logement, que l'on peut qualifier de "non-logement", constate la fondation Abbé Pierre.
Dans les communes affectées, la suroccupation des logements s'étend, les conditions de confort se dégradent et la population se paupérise - les deux tiers des locataires du parc divisé étaient sous le seuil de pauvreté à Roubaix, en 2009 - alors que les zones pavillonnaires "pourraient être des lieux de mixité sociale", pointe Mme Le Doeuff.
En Seine-St-Denis, plus d'un quart de l'offre nouvelle de logements provient de la division pavillonnaire, en forte croissance depuis 2010, selon une étude d'Espacité pour la Drihl (Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement) en cours de finalisation.
On observe trois types de division pavillonnaire, explique Mme Le Doeuff : "il y a les marchands de sommeil professionnels, à la recherche d'une rentabilité maximale, qui utilisent parfaitement les failles de la législation". Il existe aussi parfois, un phénomène de "regroupement communautaire: plusieurs familles achètent ensemble un pavillon ou un propriétaire unique loge des locataires de sa nationalité".
Mais les plus nombreux, en Seine-St-Denis, sont les propriétaires occupants modestes.
Impécunieux ou négligents, ces bailleurs "deviennent de fait, des délinquants: pour assurer leurs fins de mois, ils finissent par louer leur garage sans se soucier de la dignité dans laquelle vivent des êtres humains", estime Geoffroy Didier, vice-président (LR) en charge du logement à la région Ile-de-France.
Il publiera début mars un rapport préconisant des solutions juridiques durables "à la fois préventives et curatives" dit-il, car "le permis de louer est intéressant mais insuffisant".
Pour la fondation Abbé Pierre, il faut avant tout "donner à la justice les moyens de s'impliquer davantage" dans la lutte contre les marchands de sommeil et les propriétaires indélicats.