par Matt Spetalnick et Frank Jack Daniel
LA HAVANE (Reuters) - Barack Obama a appelé Cuba à améliorer son bilan en matière de droits de l'homme, lundi à l'issue d'un long entretien en tête à tête au palais de la Révolution de La Havane avec Raul Castro, qui a déploré que les Etats-Unis aient deux poids et deux mesures sur cette question.
Lors d'une conférence de presse donnée au deuxième jour de sa visite historique dans l'île communiste, le président américain a indiqué qu'il avait eu un échange "franc et honnête" avec Raul Castro à propos des droits de l'homme et des domaines de coopération entre les deux pays.
"Nous continuons d'avoir de sérieuses divergences, notamment sur la démocratie et les droits de l'homme", a déclaré Barack Obama au côté de Raul Castro lors d'une apparition conjointe devant la presse débutée par des plaisanteries mais agrémentée de moments de tension.
"En l'absence de (progrès sur cette question), je pense que cela continuera à être un facteur très puissant d'irritation", a poursuivi le président américain, dont les propos étaient retransmis en direct à la télévision cubaine.
"L'Amérique croit en la démocratie. Nous croyons que la liberté de parole, la liberté d'assemblée et la liberté religieuse ne sont pas seulement des valeurs américaines mais des valeurs universelles."
Le président cubain, qui a lui aussi répondu en direct à la télévision cubaine aux questions de journalistes étrangers, ce qui n'était jamais arrivé, a parfois paru mal à l'aise et a montré de l'agacement après une question portant sur les prisonniers politiques.
"Quels prisonniers politiques? Donnez-moi un nom, ou les noms", a lancé Raul Castro au journaliste qui l'interrogeait. "Et si ces prisonniers politiques existent, ils seront libérés avant la tombée de la nuit."
Le président cubain a défendu le bilan de son pays en matière de droits tels que l'accès aux soins, l'accès à l'éducation et l'égalité entre les hommes et les femmes, alors que Cuba critique régulièrement le racisme et les violences policières aux Etats-Unis ainsi que le recours à la torture sur la base américaine de Guantanamo, sur le territoire cubain.
EMBARGO ET GUANTANAMO
Ben Rhodes, l'un des principaux conseillers de Barack Obama, a par la suite déclaré à la presse que les autorités américaines avaient transmis des listes de prisonniers politiques à leurs homologues cubaines, tout en soulignant que les durées de détention étaient désormais plus courtes que dans le passé.
La tension a de nouveau été palpable lorsque Raul Castro a ignoré les demandes de prise de parole des journalistes cubains désireux de profiter de l'occasion pour lui poser des questions.
Le dirigeant cubain s'est encore agacé lorsqu'il a de nouveau été interrogé sur les droits de l'homme, n'acceptant de répondre à une nouvelle question que sur l'insistance de Barack Obama.
"Combien de pays respectent l'intégralité des 61 droits humains? Le savez-vous? Je le sais. Aucun. Aucun", a-t-il dit.
Une certaine gêne est encore apparue à la fin de la conférence de presse lorsque Raul Castro a levé le bras de Barack Obama comme pour former un geste de victoire. Le président américain a résisté et a laissé sa main ballante plutôt que de serrer le poing.
Raul Castro a livré ses propres exigences pour améliorer les relations entre les deux pays. Il a réclamé aux Etats-Unis la levée de leur embargo commercial en vigueur depuis plus d'un demi-siècle et la restitution de la base de Guantanamo.
Barack Obama n'a pas réagi au sujet de ce deuxième point mais il s'est dit optimiste sur l'élimination des sanctions économiques, malgré l'hostilité à une telle mesure de la part de son opposition républicaine au Congrès à Washington.
"L'embargo va prendre fin. Quand, je ne peux pas en être entièrement certain", a-t-il dit.
HOMMAGE À JOSÉ MARTI
La visite de Barack Obama, prévue jusqu'à mardi, vise à rendre "irréversible" le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba amorcé en décembre 2014, a souligné la Maison blanche. Les relations diplomatiques ont été rétablies en juillet dernier entre les deux pays, qui continuent néanmoins d'entretenir de profonds désaccords.
Arrivé la veille au soir en compagnie de son épouse Michelle et de leurs deux filles Sasha et Malia, Barack Obama a entamé la journée de lundi sur la place de la Révolution, symbole du pouvoir cubain où Fidel Castro, qui a laissé sa place en 2008 à Raul Castro à la tête de l'Etat, s'est adressé pendant des décennies à la foule pour dénoncer l'impérialisme américain.
Le président américain a déposé une gerbe de fleurs devant le mémorial consacré au héros de l'indépendance cubaine au XIXe siècle José Marti, un bâtiment dominé par un portrait gigantesque d'Ernesto "Che" Guevara.
"C'est un grand honneur de rendre hommage à José Marti, qui a donné sa vie pour l'indépendance de sa patrie. Sa passion pour la liberté et l'autodétermination se perpétue aujourd'hui chez le peuple cubain", a écrit Barack Obama sur le livre d'or du mémorial.
Barack Obama doit avoir une rencontre privée avec des dissidents cubains, mardi à l'ambassade des Etats-Unis.
(Avec Jeff Mason et Daniel Trotta à La Havane; Eric Faye, Jean-Stéphane Brosse et Bertrand Boucey pour le service français)