par Simon Carraud
ROISSY, Val d'Oise (Reuters) - La réunion du comité central d'entreprise (CCE) d'Air France a tourné court lundi matin au siège de la compagnie, les locaux étant envahis par une centaine de salariés qui ont manifesté leur opposition au plan "d'attrition" de la direction en s'en prenant à ses cadres.
Des salariés ont ainsi malmené leur directeur des ressources humaines (DRH) Xavier Broseta, qui présentait le plan de mesures drastiques décidé par la filiale d'Air France-KLM à la suite de l'échec des négociations avec les syndicats.
Le DRH s'est enfui de la salle de réunion au siège d'Air France, à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, torse nu après s'être fait arracher sa chemise, a constaté Reuters sur place. Pierre Plissonnier, DRH de Roissy et numéro deux du long-courrier chez Air France, a aussi vu sa chemise déchirée.
Frédéric Gagey, le PDG d'Air France, avait quitté la salle avant son envahissement au bout d'une heure, entraînant l'interruption de la réunion du CCE, ont également précisé des responsables syndicaux à Reuters.
Dans la foulée de ces incidents, la réunion du CCE a été suspendue et reprendra à une date ultérieure indéfinie. Air France a annoncé son intention de déposer plainte pour "violences aggravées" dont ont été victimes des membres de sa direction".
"Ces violences sont le fait d'individus isolés particulièrement violents, alors même que la manifestation des personnels grévistes se déroulait jusqu'alors dans le calme", a déclaré un porte-parole de la compagnie.
Le secrétaire d'Etat chargé des Transports a estimé qu'il faudrait des sanctions contre les auteurs des violences.
"Je condamne fermement les incidents survenus lors du CCE d'Air France. Ces violences sont inacceptables et devront être sanctionnées", a-t-il déclaré sur Twitter.
"VIRONS NOS PATRONS"
Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, les a jugées "indignes et inadmissibles".
Air France a annoncé lundi aux représentants du personnel qu'elle comptait supprimer 2.900 postes et retirer 14 avions de sa flotte long-courrier d'ici 2017, dans le cadre d'un "plan B" mis en oeuvre après l'échec de ses discussions avec les pilotes, ont déclaré à Reuters deux sources syndicales.
"La présentation du plan par la direction a été très sèche et n'a duré que cinq minutes avant l'envahissement de la salle", a déclaré Didier Fauverte (CGT), secrétaire général du CCE.
Le gros des manifestants est resté devant le parvis pendant plusieurs heures avant de se disperser.
Beaucoup d'appels à l'unité entre les différentes catégories de personnels ont retenti.
"Gardons nos avions, virons nos patrons", pouvait-on lire sur une pancarte qui résumait le sentiment dominant: c'est la direction et la "concurrence déloyale" des compagnies étrangères, notamment du Golfe, qui sont selon les salariés responsables de la déconfiture de la compagnie nationale.
Même si le personnel au sol n'est pas avare de critiques envers les pilotes "privilégiés", les manifestants présents estiment que la compagnie et le gouvernement font fausse route quand ils tentent de diviser ces deux catégories de personnel.
LA DIRECTION CIBLÉE
"Non, je n'en veux pas aux pilotes", a dit Didier Fauverte. "Ils ne font que défendre leur bifteck et, surtout, on leur a donné de très mauvaises habitudes. Ils ont eu l'habitude de co-gérer et aujourd'hui ils ne co-gèrent plus."
"La direction est irresponsable, elle joue un jeu dangereux: c'est une folie de vouloir monter les salariés les uns contre les autres", a-t-il ajouté.
Baptiste, pilote depuis cinq ans et membre du puissant Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), réclame le départ de la direction actuelle.
"Aujourd'hui, la confiance avec la direction est totalement rompue et je ne sais pas comment elle pourra revenir", a-t-il dit sous le couvert de l'anonymat.
Didier, pilote depuis 1990, non syndiqué, qui doit prendre lundi après-midi les commandes d'un vol pour Atlanta, estime lui aussi que la stratégie de la direction ne fonctionnera pas.
"La direction tente de nous diviser mais pour l'instant, c'est vain puisqu'on est tous ici. Et il est dangereux de diviser les personnels, ça peut nuire à la sécurité des vols si tout le monde arrête de se parler", a-t-il dit.
Mathieu, qui travaille au sol depuis quatre ans et n'est pas syndiqué, abonde dans le même sens.
"Évidemment qu'il y a une injustice (au sujet de la différence de traitement avec les pilotes), mais on est là contre la direction. On est tous dans le même bateau."
(Avec Jacky Naegelen et Cyril Altmeyer, édité par Yves Clarisse)