PARIS (Reuters) - Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a joint jeudi sa voix à la dénonciation par la gauche de la clause dite "Molière" qui impose l'usage du Français sur les chantiers dans certaines régions de France dirigées par la droite.
"C'est insupportable, ça me met hors de moi, c'est des relents de préférence nationale", a déclaré le dirigeant syndical à Europe 1. "On veut faire croire qu'on veut lutter contre le dumping social et on tape sur les salariés avec des fondements dont on voit bien qu'ils sont xénophobes."
"Donc il faut attaquer cela. Il y a d'autres moyens de lutte contre le dumping social", a-t-il ajouté. "Il faut donner des moyens renforcés à l'inspection du travail par exemple. On peut rediscuter de la directive travailleurs détachés en Europe. Mais surtout pas ce type de mesure. C'est franchement à vomir."
Son homologue de la CGT, Philippe Martinez, avait dénoncé mardi sur France Inter une "marche vers la préférence nationale" dans les pas du Front national.
"C'est absolument scandaleux. C'est une clause purement électoraliste dans le cadre d'une campagne présidentielle", a-t-il dit. "On stigmatise les étrangers parce qu'ils ne parleraient pas assez bien français."
Lui aussi a appelé à bâtir des règles communes en matière de protection sociale et de sécurité.
Le ministre de l'Economie et des Finances, Michel Sapin, a saisi sa direction des affaires juridiques, pour examiner la légalité de cette clause, jugée "raciste, discriminatoire et inapplicable" dans son entourage.
Le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, a pour sa part dénoncé "une clause Tartuffe" et accusé ses promoteurs du parti Les Républicains, dont le candidat à l'élection présidentielle est en difficulté, d'essayer d'en "tirer profit électoral".
LE PATRONAT EST CONTRE
Dans un discours au Conseil économique, social et environnemental (Cese), le chef du gouvernement a estimé mercredi que cette mesure serait condamnée par "n'importe quel tribunal" car elle fait "obstacle à la concurrence d'entreprises étrangères faisant appel à des travailleurs détachés".
Du côté patronal, le président du Medef, Pierre Gattaz, a mis en garde mardi, lors de sa conférence de presse mensuelle, contre des dérives "nationalistes".
"Vous commencez comme ça, et puis après vous commencez à faire du favoritisme, et puis ensuite vous fermez les frontières françaises, et puis vous finissez par sortir de l'euro".
La polémique a même touché le parti du candidat de la droite à l'élection présidentielle, François Fillon.
Elisabeth Morin-Chartier, députée européenne Les Républicains spécialiste du dossier, lui a écrit pour l'alerter.
"Le repli sur soi est le chemin de l'abdication", a-t-elle dit dans ce courrier en l'exhortant à résister.
"Cette clause contrevient aux fondements même des droits et libertés qui fondent l'Europe", a-t-elle dit mercredi à des journalistes, précisant que François Fillon n'avait pas répondu.
La "clause Molière" a été introduite en Île-de-France, dans les régions Hauts-de-France, Normandie et d'Auvergne-Rhône-Alpes, toutes dirigées par Les Républicains.
Elle est censée lutter contre la directive européenne des travailleurs détachés en imposant le français sur les chantiers dont la région est maître d'œuvre.
LA FRANCE AUSSI EXPORTE SES TRAVAILLEURS
Des élus ont aussi décidé de l'appliquer dans les départements du Haut-Rhin et de Charente et elle pourrait l'être prochainement dans les Alpes-Maritimes.
Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a mis sur pied une équipe d'agents chargés de veiller au respect de la clause et s'est lui-même rendu sur un chantier.
Le préfet de sa région, Henri-Michel Comet, l'a exhorté à revenir sur sa décision, jugeant la clause Molière "non conforme aux textes européens", mais Laurent Wauquiez lui a opposé une fin de non recevoir.
"Je l’assume et je ne lâcherai pas", a-t-il écrit lundi dans un courrier adressé à Bernard Cazeneuve.
La France, troisième pays d'origine des travailleurs détachés au sein de l'UE, avec 190.000 personnes concernées (elle est le deuxième pays d'accueil après l'Allemagne, avec 340.000 personnes), serait dans l'embarras si ses travailleurs détachés en Pologne ou en Roumanie devaient parler la langue du pays où ils travaillent.
Sept pays de l'Union européenne, dont la France, veulent une réforme de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés, sujet de division au sein des Vingt-Huit entre défenseurs de la libre circulation et détracteurs d'un présumé "dumping social", des abus ayant été constatés dans les contrôles.
En mars dernier, la Commission européenne a proposé qu'un travailleur détaché au sein de l'UE bénéficie désormais des conditions de rémunération en vigueur dans son pays d'accueil et non plus seulement du salaire minimum appliqué dans ce pays.
Cela impliquerait la fin de certaines pratiques, comme le fait que des employeurs intègrent les primes et le treizième mois dans le salaire minimum, ce qui a pour effet de le réduire.
(Emmanuel Jarry, avec Catherine Lagrange et Gilbert Reilhac, édité par Yves Clarisse)