par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Excès de confiance ou erreur de communication, Emmanuel Macron, grand favori du second tour de l'élection présidentielle, a accumulé depuis dimanche des maladresses reprises en boucle par les médias et laissé le terrain à sa rivale Marine Le Pen.
En dehors d'un hommage, lundi, aux Arméniens victimes du génocide de 1905 et de sa participation, mardi, à la cérémonie à la mémoire du policier tué jeudi dernier sur les Champs-Elysées, il a pratiquement été absent, alors que la présidente du Front national arpentait rues et marchés. [L8N1HX4WU]
Son équipe de campagne a annoncé à la dernière minute un déplacement "surprise" à l'hôpital de Garches (Val-de-Marne) sur le thème de la prise en charge du handicap mardi.
Mais face aux images montrant la dirigeante d'extrême droite enchaîner les bains de foule, les chaînes de télévision ont surtout abondamment diffusé ces deux derniers jours celles d'Emmanuel Macron célébrant dimanche son score du premier tour à la Rotonde, une brasserie parisienne réputée.
Un rappel de la fête organisée par les amis de Nicolas Sarkozy au Fouquet's, au soir de sa victoire de 2007, un faux pas qui a nui d'emblée à l'image de l'ancien président de la République et l'a suivi tout son quinquennat.
"La Rotonde c'est une erreur", estime le directeur de la revue du CNRS Hermes, Dominique Wolton. "C'est invraisemblable d'avoir répété le Fouquet's."
Ce spécialiste de la communication politique juge aussi maladroites les images d'Emmanuel Macron saluant de la main ses supporters par la fenêtre ouverte de sa voiture, lundi, comme s'il était déjà élu, à l'instar de Jacques Chirac en 1995.
La drôle de campagne de second tour d'Emmanuel Macron a commencé dès dimanche soir avec un discours de victoire qui enjambait l'échéance du 7 mai.
"Pourquoi a-t-il fait un si mauvais discours ? C'était trop long, trop plat, sans relief, sans perspective, atone", estime également Dominique Wolton.
"IL FAUDRA VOUS HABITUER"
"La question centrale, c'est quand il va rebouger", ajoute-t-il. "Il ne peut pas rester dans son QG à recevoir des coups de téléphone (...) Il faut qu'il fasse de la grande politique et tout le reste attendra."
L'équipe de campagne d'Emmanuel Macron, pratiquement au régime du silence radio depuis plusieurs jours, n'a annoncé que deux véritables déplacements conclus par des meetings : mercredi dans la Somme et le Pas-de-Calais, territoires où le FN est très présent, et vendredi en Haute-Vienne. Jeudi, dit un membre de son équipe, "il restera à son QG".
Agacé, le candidat a répliqué qu'il ne se laisserait pas dicter sa conduite par les médias.
"Je vais continuer comme vous m'avez toujours connu. Je serai le maître de mes propres horloges. Je suis depuis un an en campagne, je n'ai jamais suivi le tempo des médias. J'allais pour les uns trop vite, pour les autres trop lentement", a-t-il dit à la presse en marge de sa visite à Garches.
"Il faudra vous habituer, je ne suivrai pas le rythme qui plaît aux médias. Je suivrai le rythme que j'ai décidé pour faire des choses utiles pour mon pays", a-t-il ajouté.
Si le triomphalisme d'Emmanuel Macron dimanche soir a été épinglé lundi par ses adversaires, certains de ses alliés potentiels ou déclarés ne l'ont pas non plus épargné.
"Chacun doit avoir en tête, y compris les principaux intéressés, que ce n'est pas encore fait, que ça n'est pas encore construit (...) que Mme Le Pen n'est pas encore battue", a averti le ministre PS de l'Economie et des Finances, Michel Sapin. Une forme de rappel à l'ordre relayé par François Hollande.
"TROP TÔT"
Face aux commentaires acides des médias et des réseaux sociaux, le député PS Richard Ferrand, soutien de la première heure d'Emmanuel Macron et secrétaire général de son mouvement En Marche ! a dénoncé une "caricature".
Il a assuré qu'En Marche ! et son candidat n'avaient pas l'intention de "faire l’économie du combat face à Marine Le Pen" et qu'ils allaient se "démultiplier", arpenter les marchés et faire les sorties d'usines.
Si les sondages le créditent unanimement d'une large victoire le 7 mai, le score qu'il réalisera pèsera ensuite sur sa capacité à obtenir une majorité aux législatives de juin, puis à gouverner et à réformer le pays.
Or, pour être bien élu, il doit avant tout convaincre dans la France "périphérique" des petites villes, des zones rurales ou sinistrés par la crise industrielle, qui concentrent environ 60% de l'électorat, selon le géographe Christophe Guilluy.
Une France périphérique où le FN fait ses meilleurs scores et où les images de la soirée de La Rotonde sont plutôt de nature à éloigner les électeurs d'Emmanuel Macron.
"Cet homme est encombré de tous les appuis dont il bénéficie maintenant", juge Dominique Wolton qui dénonce aussi la "folie" médiatique autour du benjamin des candidats (39 ans). "Ça le plombe, pas politiquement mais humainement. Là on retrouve sa jeunesse et son impréparation."
"Ça vient trop tôt", ajoute ce directeur de recherche au CNRS. "Pour faire un homme politique ou un grand entrepreneur, il faut beaucoup d'échecs, de difficultés, pour qu'il s'humanise. Il n'a rien eu de tout cela. Peut-être avait-il besoin de ces 48 heures pour digérer tout ça."
(Avec Sophie, Louet Hélène Dauschy et Michel Rose)