par Gilles Guillaume
PARIS (Reuters) - La voiture du futur - qu'elle soit électrique et/ou autonome - sera bardée de technologies, au risque de marginaliser les équipementiers comme Valeo (PA:VLOF), à la peine en Bourse, au plus grand profit des géants de la tech et des Gafa et peut-être des constructeurs eux-mêmes, mieux armés pour résister à cette déferlante.
Dernier manifestation en date de la révolution qui se profile, General Motors (NYSE:GM) a annoncé fin novembre sa plus grosse restructuration en Amérique du Nord depuis sa faillite il y a dix ans, afin d'investir massivement dans les véhicules électriques et autonomes.
Le premier constructeur automobile américain va supprimer ainsi pas moins de 8.000 emplois et arrêter la production de ses berlines les moins rentables.
"Le véhicule du futur ressemblera davantage à un ordinateur portable sur roue. Constructeurs et équipementiers tentent de s'adapter à cette nouvelle donne: le partage de la chaîne de valeur entre les deux risque de changer, et ils devront aussi partager avec les spécialiste des semi-conducteurs et des logiciels", souligne Thiemo Lang, gérant de portefeuille chez le spécialiste helvético-néerlandais de l'investissement durable RobecoSAM.
Alors que les équipementiers captent actuellement pas moins de 75% de la valeur, les cartes vont être en effet rebattues en profondeur au sein de la filière.
"La production des véhicules va changer de manière significative, la filière passant d'un mélange de composants mécaniques, hydrauliques et électroniques, à une majorité d'éléments électroniques et logiciels avec le développement des voitures électriques, autonomes et connectées", observe Thiemo Lang.
Cette perspective explique la mauvaise performance boursière des équipementiers par rapport à la moyenne du secteur automobile, tandis que les constructeurs, les fabricants de semi-conducteurs et les Gafa ont au contraire tendance à surperformer.
Valeo, qui a enregistré l'une des meilleures performances de la Bourse l'an dernier (+13%), est descendue de son piédestal: elle enregistre la plus mauvaise performance du CAC 40 sur l'année : -60,59%, sa plus forte baisse depuis la crise de 2008, contre -9,85% pour l'indice parisien.
A cette "disruption" majeure s'ajoutent les perturbations provoquées en Europe par les nouvelles normes d'homologation WLTP, qui ont placé en première ligne les équipementiers, comme en témoigne le double "warning" de l'équipementier français en trois mois.
CAP SUR LA TECH
L'alliance Renault-Nissan a provoqué elle-même un coup de tonnerre en annonçant en septembre la signature d'un accord avec Google (NASDAQ:GOOGL), qui permettra d'installer le système d'exploitation Android du géant américain à sa prochaine génération de systèmes "d'infotainment" embarqués.
Mais selon une source proche d'un autre constructeur, il ne s'agit que d'une première étape.
"Pour des questions de compatibilité avec les outils Google et de mise à jour, il est quand même plus simple de lui confier directement une partie de l'architecture à bord. D'autres y viendront, ce n'est qu'une question de temps", a-t-elle dit.
Pour rester dans la course, les fournisseurs traditionnels tentent quant à eux de se réinventer.Delphi a séparé ses activités traditionnelles de transmission de ses activités plus technologiques et Continental (DE:CONG) a annoncé un projet similaire. Autoliv réfléchit également à séparer ses activités de sécurité passive de ses produits plus high tech tandis que Faurecia (PA:EPED) a lancé une offre sur le japonais Clarion pour étoffer ses services embarqués et que Plastic Omnium (PA:PLOF) a cédé sa division historique de poubelles pour se concentrer sur l'automobile.
Valeo, très bien placé sur les capteurs pour l'aide à la conduite et acteur majeur de l'hybridation 48 volts, dispose également d'une co-entreprise avec Siemens (SIX:SIEGn) spécialisée dans les moteurs électriques.
Malgré tous ces efforts, les investisseurs craignent qu'une partie des technologies prometteuses dans lesquels les équipementiers ont investi soient réinternalisées par les constructeurs.
"La révolution industrielle qui s'annonce est telle que les constructeurs doivent se réapproprier une partie de la valeur. Ne serait-ce que pour donner du travail aux équipes qui seront touchées par la disgrâce du diesel, et la perte de vitesse du thermique. Du contenu et des emplois que les équipementiers n'auront pas", indique une source proche de PSA (PA:PEUP).
Renault (PA:RENA), qui achetait jusqu'ici ses moteurs électriques à Continental, a entrepris dès 2011 de les produire lui-même à Iléon (Seine-Maritime) tandis que PSA, qui se fournit actuellement chez Continental et la JV Valeo-Siemens pour ses machines électriques, relocalisera en 2022 sa production à Trémery (Moselle) dans le cadre d'une JV avec le japonais Nidec-Leroy-Somer.
UNE INCONNUE: LE RYTHME DE CETTE TRANSITION
Les spécialistes des puces devraient aussi capter une grande partie de la valeur future de véhicules. Selon RobecoSAM, les semi-conducteurs de puissance devraient en effet doubler entre une voiture hybride et une voiture électrique, et leur présence décuplée si l'on compare avec un véhicule essence.
Infineon (DE:IFXGn), qui réalise déjà 40% de son revenu avec les voitures, STMicroelectronics (PA:STM) (30% du revenu) ou encore les américains ON Semiconductor,, Power Integrations, Monolithic Power et Cree paraissent les mieux positionnés.
Davantage d'acteurs, mais pour un gâteau qui a tendance à s'amenuiser. La structure d'un véhicule électrique étant moins complexe que celle d'un véhicule thermique ou hybride, Barclays (LON:BARC) estimait par exemple dans une note récente qu'il faudrait à terme moins de 5.000 emplois en Allemagne pour produire un million de voitures électriques, contre plus de 10.000 pour un volume identique de véhicules diesel.
Il est communément admis que les équipementiers devraient bénéficier du durcissement de la réglementation, qui va conduire à une hausse du prix du contenu par véhicule. Ce sera probablement vrai pendant la phase d'hybridation électrique-thermique, mais au-delà ?
La banque britannique Barclays rappelle le précédent des navires hybrides du 19e siècle, comme le SS Great Eastern, conçu par le "Elon Musk" de l'époque, l'ingénieur Isambard Kingdom Brunel. Ce navire géant, lancé en 1858, innovait avec quatre moteurs à vapeur, mais conservait aussi du passé six mâts pouvant déployer jusqu'à 1.686 mètres carrés de voile.
"Comme lors du passage de la marine à voile à la marine à vapeur, les équipementiers pourraient réaliser qu'ils ont investi lourdement dans des technologies qui deviendront obsolètes dans un monde zéro émission", souligne Kristina Church, analyste chez Barclays, pour qui la phase d'hybridation ne sera que "fugace".
(Avec la contribution de Blandine Hénault, édité par Jean-Michel Bélot)