Investing.com - Wall Street a brutalement effacé une partie de son rebond récent, rattrapée dès l’ouverture par la décision de Moody’s de dégrader la dette souveraine des États-Unis de “Aaa” à “Aa1”, un coup symbolique porté à la réputation de signature sans risque qu’entretenait le Trésor depuis plus d’un siècle. L’agence justifie son abaissement par une trajectoire d’endettement qu’elle juge désormais inquiétante : à 36 000 milliards de dollars, la dette publique continue de croître plus vite que le revenu national et pourrait s’envoler davantage si la réforme fiscale voulue par Donald Trump était intégralement adoptée.
Le passage en commission du vaste projet de baisses d’impôts, dimanche soir, ravive en effet la perspective d’un creusement de 3 à 5 000 milliards de dollars du déficit fédéral sur dix ans. Pour les investisseurs, déjà bousculés par l’épisode tarifaire du mois d’avril, ce rappel à l’ordre sur la soutenabilité budgétaire ravive la crainte d’un relèvement durable de la prime de risque exigée pour financer Washington : les rendements à dix ans grimpaient de nouveau, accentuant la pression sur les valeurs de croissance.
Dans cet environnement moins clément, le Dow Jones cède près de 0,2 %, le S&P 500 recule de 0,4 % et le Nasdaq, plus sensible aux variations des conditions financières, plonge d’environ 0,6 %. Cette brusque marche arrière intervient pourtant à l’issue d’une semaine marquée par le soulagement suscité par la trêve tarifaire sino-américaine et par la série de statistiques désinflationnistes. Les propos de plusieurs responsables de la Réserve fédérale, attendus dans la journée, seront donc scrutés pour évaluer la robustesse du scénario de deux baisses de taux cette année ; mais l’abaissement de Moody’s réduit d’emblée la marge de manœuvre monétaire, en soulignant que le coût du service de la dette est appelé à grimper.
Sur le front microéconomique, Walmart (NYSE:WMT) illustre l’asymétrie des conséquences de la politique commerciale : sommé par la Maison-Blanche d’“absorber” les surcoûts douaniers, le distributeur a répliqué qu’il lui serait impossible de contenir l’inflation importée sans relever ses prix de vente. La mise en garde intervient alors que la consommation intérieure montre déjà des signes de fatigue depuis la chute surprise des ventes au détail d’avril. La réaction du marché a été immédiate : l’action du géant de Bentonville recule, entraînant avec elle la plupart des valeurs tournées vers la demande domestique.
Le secteur technologique n’est pas épargné. Nvidia (NASDAQ:NVDA), devenu baromètre de l’appétit pour l’intelligence artificielle, voit son titre chahuté malgré la présentation, à Taipei, d’une salve d’innovations destinées tant aux centres de données qu’au grand public. Les investisseurs, encouragés la semaine dernière par l’idée d’une chaîne d’approvisionnement à nouveau fonctionnelle, redoutent désormais l’impact d’un renchérissement durable du capital et la tentation pour le Congrès de réguler plus sévèrement les usages de l’IA, dans un climat politique où la souveraineté numérique prend le pas sur la libre circulation des puces.
Le repli se prolonge sur le marché pétrolier, Brent et WTI accentuant leur correction sous l’effet combiné de la note de Moody’s – qui pèse sur les anticipations de croissance américaine – et d’indicateurs chinois mitigés : la production industrielle de l’Empire du Milieu résiste mieux qu’attendu, mais les ventes au détail déçoivent, soulignant la fragilité de la demande interne. L’idée qu’un cycle d’expansion mondiale, déjà fragilisé par la séquence tarifaire, puisse subir le frein d’une consolidation budgétaire accélérée aux États-Unis alimente la prudence des opérateurs, tant sur les matières premières que sur les valeurs industrielles.
Au-delà des fluctuations du jour, la tendance reste suspendue à trois interrogations. La première concerne la capacité réelle de la Maison-Blanche à contenir le déficit tout en maintenant ses largesses fiscales ; le bras de fer ouvert entre Donald Trump et l’agence de notation promet de rythmer les débats au Congrès. La deuxième porte sur la réaction de la Fed, qui devra arbitrer entre la tentation de soutenir la croissance et la nécessité de préserver l’ancrage des anticipations d’inflation dans un contexte de pressions tarifaires partiellement persistantes. La troisième, enfin, tourne autour de la crédibilité de la détente commerciale : si la trêve sino-américaine a éloigné le risque d’un choc immédiat, elle ne traite pas encore la question du « tarif universel » de 10 % que Washington entend maintenir sur tous les partenaires.
Dans l’intervalle, le Dow Jones reflète l’humeur d’un marché encore orphelin de visibilité : le retour de la menace budgétaire rappelle que chaque soulagement – tarifaire ou inflationniste – peut être éclipsé par un nouveau foyer d’incertitude. La volatilité devrait rester la norme tant que les deux leviers majeurs, politique fiscale et politique monétaire, évolueront sans coordination claire.