Depuis 15 ans, Kokopelli se bat contre les géants de l'agroalimentaire pour défendre les semences non homologuées. Et si l'association a perdu nombre de batailles judiciaires, elle a gagné en contrepartie une notoriété considérable qui a décuplé la popularité des variétés rares.
L'association, qui vient de quitter ses locaux historiques dans le Gard pour s'installer au Mas d'Azil, petite commune des Pyrénées ariégeoises, milite pour la conservation et la commercialisation de semences anciennes ou modernes mais libres de droits et reproductibles, face à une industrie qu'elle accuse de confisquer le patrimoine végétal au détriment de la biodiversité.
Avec son 1,8 million d'euros de chiffres d'affaires, "Kokopelli c'est une minuscule goutte d'eau dans le marché des semences mais son travail a fait bouger les lignes", commente Blanche Magarinos-Rey, l'avocate de l'association qui doit son nom à un personnage de la mythologie amérindienne synonyme de fertilité. "Elle a inspiré tout un tas d'opérateurs qui surfent sur l'engouement pour les variétés anciennes et la redécouverte du patrimoine culinaire".
- "Lutter contre l'érosion" -
Dans les locaux de l'association née en 1999, plus de 2.200 variétés de semences potagères et céréalières sont stockées dans des bouteilles ambrées disposées sur des centaines d'étagères ou conditionnées en sachets près à être expédiés aux quatre coins de France, voire de la planète.
Kokopelli veut "lutter contre l'érosion génétique" résultant selon elle des pratiques de l'industrie agroalimentaire, dit Ananda Guillet, 27 ans, directeur de l'association fondée par son père Dominique. La FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) estime que 75% de la diversité des cultures a été perdue entre 1900 et 2000, souligne-t-il.
"On se garde pas mal de variétés qui disparaîtraient sans ça", raconte Charlotte, l'une de la vingtaine de salariés, devant des sachets de "haricots nains à écosser" et de "laitues voreysiennes".
Les graines du Mas d'Azil ne sont pas en très grande majorité autorisées à la commercialisation. Pour être inscrite au catalogue officiel national, ce qui délivre le sésame de commercialisation dans toute l'Europe, toute nouvelle variété doit être "distincte" de l'existant, "homogène" et "stable" afin de garantir qu'elle produira toujours le même résultat. Des critères qui répondent aux seuls besoins de l'industrie semencière moderne, assure Kokopelli.
Le catalogue européen comprend 34.500 variétés et le catalogue français 6.500, selon les chiffres du Gnis, l’inter-profession des semenciers.
"Pour l'essentiel, seuls les hybrides F1 non reproductibles sont susceptibles d'y être admis" pour un coût prohibitif, poursuit Ananda Guillet.
L'Europe prévoit bien des dérogations pour les variétés anciennes mais sous strictes conditions que rejette KoKopelli.
Elle commercialise donc illégalement auprès de 53.000 clients environ 1.700 variétés produites par un réseau d'une quinzaine d'agriculteurs bio, activité qui lui permet de se financer . Au grand dam d'ailleurs des militants alternatifs du cru qui l'ont taxée de capitalisme, tags sur ses murs à l'appui, peu après son arrivée en Ariège.
- "Autonomie semencière" -
D'autre part, elle détient des centaines de plantes de collection, très peu cultivées, qu'elle distribue à ses 9.000 adhérents en échange d'une cotisation annuelle. "On partage des semences qui ont besoin d'un refuge" dans les jardins des gens, dit le directeur de Kokopelli. "A terme, on vise l'autonomie semencière de la population".
L'association, qui a également acheté une ferme pour y produire bientôt ses propres semences, a développé une importante activité humanitaire, avec l'envoi gratuit de 200 colis par an à des communautés rurales à travers le monde.
Dans le dernier procès en date, le groupe semencier Graines Baumaux a attaqué Kokopelli pour concurrence déloyale, obtenant en première instance sa condamnation à 10.000 euros de dommages et intérêts. La cour d'appel de Nancy doit rendre son arrêt le 9 septembre dans cette procédure qui a également vu Kokopelli échouer à obtenir de la Cour de justice européenne qu'elle invalide la législation européenne. Lors de l'appel, Me Magarinos-Rey a accusé les grands groupes semenciers de s'être eux aussi mis à commercialiser des variétés anciennes non inscrites "pour ne pas perdre ces nouveaux marchés".