Des carcasses de "viandes maturées" qui tournoient dans des vitrines, comme des pièces d'orfèvrerie : ce spectacle déjà bien connu des clients de quelques boucheries de renom va désormais tenter de séduire le grand public.
Depuis quelques années, des morceaux de viande à la robe grenat, affinés pendant des semaines, voire des mois, ont remplacé le filet de boeuf classique dans les assiettes de quelques gourmets qui n'hésitent pas à débourser plusieurs dizaines d'euros pour une pièce de boeuf plus tendre et au goût plus prononcé.
A l'origine de cette tendance, nouvelle dans la grande distribution, quelques bouchers stars.
L'émergence de cette nouvelle mode a séduit les industriels désireux de compenser un marché en perte de vitesse, à l'image du numéro un de la viande en France, Bigard, qui a lancé la marque "la réserve du boucher" sur ce créneau.
"La réserve du boucher est destinée à la restauration et aux bouchers des grandes et moyennes surfaces", explique un porte-parole du groupe.
Objectif, répondre aux attentes de clients consommant moins de viande mais de qualité supérieure.
"Chaque année, on constate une baisse de la consommation de 2 à 3%, depuis plusieurs années", explique le porte-parole. "Il n'y a pas moins de gens qui consomment de la viande, mais une baisse de la quantité achetée par personne".
Crise de la vache folle, viande accusée d'être cancérogène par l'OMS, associations qui dénoncent les conditions d'élevage : résultat, une opinion un peu échaudée et l'émergence d'une nouvelle population, les "flexitariens".
Selon le groupe Bigard, ils représentent environ 25% des consommateurs. Ils diversifient leurs habitudes alimentaires et "achètent moins de viande, mais sont prêts à payer un peu plus cher pour consommer de meilleurs produits".
Bigard trace un parallèle avec le vin, qui a connu il y a quelques années une "montée en valeur pour compenser une baisse en volume".
- Prix haut de gamme -
Aller du "moins vers le mieux", c'est le credo d'Hervé Puigrenier, président des abattoirs du même nom, basés à Montluçon (Allier), dont la "cave à viande" a reçu un grand prix de l'innovation au SIAL, le salon international de l'alimentation qui se tient jusqu'à jeudi, près de Paris.
Le concept, une pièce de boeuf maturée 21 jours minimum et jusqu'à deux mois selon un procédé gardé secret, présentée dans un emballage en bois faisant penser au packaging d'un fromage de prestige.
"En matière de viande, il y a un grand écart pour les consommateurs entre la viande de tous les jours et les viandes maturées, sélectionnées, à tendance luxe qui sont présentées sur le salon cette année", déclare Nicolas Trentesaux, le président du SIAL.
M. Puigrenier n'hésite pas à pousser le parallèle avec le fromage en parlant d'"affinage" pour sa viande et vise clairement l'exportation vers des pays tiers pour tenter de bousculer boeuf de Kobe et Angus d'Australie.
Le groupe auvergnat a ainsi reçu récemment un célèbre critique gastronomique de la télévision japonaise dont l'avis a permis, selon M. Puigrenier, "de faire grimper les ventes" au pays du soleil levant.
Non loin de lui, Wen Cao, sa responsable export, passe de longs moments à discuter avec un acheteur chinois potentiel, dans le brouhaha du salon.
"On a une situation de crise au niveau des éleveurs, à nous abatteurs de trouver des solutions pour valoriser la viande", déclare M. Puigrenier, qui pour conquérir d'autres horizons, n'a pas hésité à créer une unité de production de 3.000 m2, qui emploie une quinzaine des 300 employés de son groupe.
Un trait de caractère rapproche son groupe familial de l'ogre Bigard : les deux entreprises, si disertes lorsqu'il s'agit de vanter les qualités gustatives de leurs produits, se taisent dès lors qu'on les interroge sur les revenus générés par ces viandes premium. A titre indicatif, les prix peuvent atteindre 150 à 200 euros le kilo dans des boucheries traditionnelles.