par Chris Arsenault
TORONTO (Fondation Thomson Reuters) - Réduites à l'état d'esclaves sexuelles par les djihadistes de l'organisation Etat islamique (EI), des femmes de la minorité yazidie d'Irak ont réussi à échapper à leurs géôliers mais manquent d'un soutien psychologique à la mesure du calvaire qu'elles ont vécu pendant des mois, selon l'ONG Yazda.
Cette organisation a été créée en août dernier pour venir en aide aux membres de cette minorité ethnique et religieuse pré-islamique déplacée par l'avancée des djihadistes dans le nord de l'Irak et dont des milliers de membres ont été tués ou enlevés.
Dans leur interprétation rigoriste et intégriste du Coran, les djihadistes d'Abou Bakr al Baghdadi, le calife autoproclamé de l'Etat islamique, sont autorisés à violer, à exploiter ou à contraindre à se convertir à l'islam les membres de cette communauté qu'ils considèrent comme des "adorateurs du diable".
Selon une enquête publiée ce mois-ci par le New York Times, cette "interprétation restrictive et très sélective du Coran et d'autres règles religieuses non seulement justifie la violence, mais élève et célèbre également chaque crime sexuel comme un bienfait spirituel, voire vertueux" qui rapprocherait son auteur de Dieu.
L'ONG Yazda a installé un centre d'accueil à Dohouk, dans le Kurdistan irakien, où plus de 400 anciennes captives yazidies ont pu trouver refuge.
"Nous recueillons chaque semaine trois à quatre esclaves en fuite", précise Jameel Chomer, qui travaille pour Yazda, joint par téléphone par la Fondation Thomson Reuters.
"Mais ces filles qui ont fui Daech, elles n'ont pas d'endroit où vivre, elles vivent dans des tentes surpeuplées avec d'autres réfugiés", poursuit-il. "Elles continuent de souffrir, elles n'ont ni traitement, ni thérapie."
TRAUMATISME LOURD
Lorsque les combattants de l'EI ont attaqué en août 2014 les communautés yazidies établies autour du Mont Sindjar, dans le nord-ouest de l'Irak, ils ont capturé environ 5.000 femmes, précise Matthew Barber, chercheur à l'Université de Chicago et membre du réseau Yazda qui s'est rendu le mois dernier dans le nord de l'Irak. L'EI en détiendrait toujours au moins 3.000.
Certaines captives ont pu parfois racheter leur liberté, leur famille parvenant à réunir suffisamment d'argent et à faire parvenir la somme à leurs géôliers par des intermédiaires. D'autres ont réussi à s'enfuir.
Mais après des mois de viols répétés et de mariage forcé, ces filles, parfois très jeunes, sont en état de choc. "J'ai vu des filles à peine entrées dans l'adolescence se présenter à notre bureau à ce point traumatisées qu'elles ont du mal à lever les yeux vers d'autres femmes. Elles sont incapables de nouer des liens affectifs", note Matthew Barber.
"Ces filles, poursuit-il, ont besoin de thérapeutes professionnels et nous ne sommes pas en mesure d'en mettre à leur disposition."
Les agences humanitaires présentes dans le Kurdistan irakien, où des centaines de milliers de personnes déplacées se sont réfugiées, fournissent de l'aide alimentaire, des tentes, des couvertures.
En revanche, il n'y a guère de ressource pour prendre en compte les traumatismes et la détresse morale de ces femmes parfois très jeunes.
Jameel Chomer ajoute que ni le gouvernement central d'Irak ni les autorités autonomes kurdes n'ont créé de structures de soutien psychologique. "Certaines personnes ont reçu une formation pour gérer des traumatismes, dit-il, mais elles ne sont pas expertes dans la prise en charge de victimes de torture."
(Thomson Reuters Foundation est la fondation caritative de Thomson Reuters dédiée à la couverture des sujets humanitaires et liés aux droits des femmes, à la lutte contre la corruption et au changement climatique.; http://www.trust.org; Henri-Pierre André pour le service français)